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sans se croire en un jour de fête. On y respire le parfum de l’Orient, mais d’un Orient embelli par la propreté anglaise. Dès qu’on pénètre dans l’enceinte de la ville, on se sent pris d’un vertige de gaîté. On dirait qu’on entend tinter des grelots partout. Hommes et femmes, lestes et pimpans, gazouillent à l’envi. Le peuple n’a point ici une langue grossière qui soit, comme dans les autres pays, à son usage. Le sel andalous a la même saveur dans toutes les classes. En fait de grammaire, les marchandes d’herbes de Cadix valent les marchandes d’herbes d’Athènes. L’esprit sous la mantille dériderait un quaker : jugez de l’effet qu’il produit quand on a vingt-cinq ans ! Il ne manque qu’une chose à Cadix, c’est une meilleure rade : non pas que la baie ne soit vaste et qu’on n’y puisse à la rigueur tenir sur de bonnes ancres ; mais les communications avec la ville sont -assez difficiles, quelquefois même périlleuses, en hiver.

A devil of a sea rolls in that bay of Cadiz,


comme l’a fort bien dit lord Byron. Nous étions à peine réparés que nous faillîmes être de nouveau jetés à la côte par un coup de vent de Médine. Le vent de Médine est un vent de sud-est qui souffle avec une extrême violence du fond de la rade et qui occasionne souvent des sinistres. Ce n’est pas cependant le plus dangereux. Le vent d’ouest qui donne dans la baie tourmente bien autrement les chaînes.

Notre retour à Barcelone dut s’opérer dans le courant du mois de janvier ; c’est un mois où les yachts eux-mêmes évitent de se trouver à la mer. Le Furet ne se tira cependant pas trop mal d’affaire. Sans doute le vent était lourd, le froid vif et la mer un peu dure ; mais l’hiver est quelquefois dans la Méditerranée plus clément que l’automne. Quand la côte presque tout entière est couverte de neige, qu’elle est, suivant l’expression des marins, hivernée, le vent ne souffle plus que rarement du large. Une brise fraîche et piquante, venant toujours de terre, accueille le navire, qui à quelques lieues de la côte était encore battu de la tempête. Le froid manteau étendu sur les montagnes repousse la tourmente. La côte se défend, c’est par cette métaphore que nous expliquons ce phénomène. Le Furet, sous une voilure que j’avais appris à manier, cingla donc, avec un vent presque constamment traversier, du cap de Gate à la pointe du Llobregat. À Barcelone, je trouvai l’ordre de m’arrêter pour y renforcer la station. Quel honneur pour le Furet et pour ses deux caronades de 12 ! Il en eut un plus grand quelques mois après : il fut chargé de porter secours à un brick de guerre anglais qui s’était échoué près de Villanova. Ce brick se jouait des tempêtes comme un albatros ; il manqua, en voulant virer