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100 mariés, le nombre des hommes qui n’ont pu signer est de 29,27, le nombre des femmes de 44,16. Les chiffres sont encore plus douloureux et la disproportion entre les sexes plus marquée, si l’on ne tient compte que de la campagne. Alors sur 100 mariés il faut compter, en hommes, 32,94 complètement illettrés, près du tiers ; en femmes, 48,09, près de la moitié. Encore doit-on se souvenir que beaucoup de personnes qui ne savent ni lire ni écrire apprennent à tracer leur nom, et qu’un très grand nombre d’autres, capables à la rigueur d’épeler un mot ou d’écrire péniblement une ligne, sont tout à fait hors d’état de lire couramment pour s’instruire ou pour s’amuser. Voilà les faits, et on ne les changera pas tant qu’on ne prendra pas les mesures nécessaires pour avoir partout des institutrices capables. On cherche des carrières pour les femmes : la carrière d’institutrice est celle qui leur convient le mieux ; la nature les y a pour ainsi dire destinées. Elles sont institutrices parce qu’elles sont mères. Pourquoi condamner les parens de 360,000 filles à les faire élever par des hommes et côte à côte avec des garçons ? Ce n’est pas là de l’éducation. Pourquoi tolérer en faveur des congrégations religieuses une exception qui fait peser sur 12,000 écoles une présomption d’incapacité ? Ce n’est pas là de l’instruction. Pourquoi plus d’écoles de garçons que. d’écoles de filles ? Ce n’est pas là de l’équité. Pourquoi un budget de plusieurs millions pour les instituteurs et de quelques centaines de mille francs pour les institutrices ? Pourquoi des institutrices à 0,90 centimes par jour ? Ce n’est pas là de l’humanité. Revenons-nous, en plein XIXe siècle, à l’ancienne théorie de l’infériorité des femmes ? Ont-elles moins de droit que nous ou moins de capacité ? La société -a-t-elle un moindre intérêt à les instruire ? Il est vrai que les femmes de la bourgeoisie ne sont pas destinées à gagner de l’argent ; mais les femmes du peuple ne sont-elles pas, comme leurs maris, des ouvrières ? Et puisqu’elles ont moins de force corporelle, n’est-il pas de toute justice de leur donner au moins les avantages d’une éducation égale ? Même pour les femmes placées dans des conditions meilleures, et dispensées du travail mercenaire, la vie est-elle oisive ? Est-il bon, est-il possible qu’elle le soit ? Tandis que le mari est chargé du gain et de la recette, ne faut-il pas que la femme préside à la dépense ? Est-ce là une fonction qui n’ait pas, comme l’autre, son utilité, ou qui puisse sans grand dommage pour les familles et pour la société se passer de noviciat ? L’éducation d’ailleurs n’est pas seulement une affaire. Avant tout, ce que l’on doit vouloir faire par l’éducation, c’est un homme ou une femme, c’est-à-dire une créature raisonnable, soumise au devoir, amante de la vérité,