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et qui a modelé les moules mêmes où tous nos raisonnemens prennent leur forme ; mais les peuples et les races ont aussi une période d’enfance, et c’est par les siècles que se comptent leurs lents progrès. Il est devenu presque impossible aujourd’hui de comprendre de quelle importance ont été pour la civilisation ces idées, en apparence si simples, avec lesquelles Pythagore a familiarisé le génie grec, et qu’il a fait passer en quelque sorte des ténèbres à la lumière.

Autant le génie égyptien se montra de bonne heure apte à classer, à définir les formes, à en découvrir les propriétés, autant il paraît avoir été rebelle à l’abstraction mathématique. L’arithmétique hiéroglyphique était, sous certains rapports, très philosophique et très rationnelle, mais elle ne connaissait qu’un fort petit nombre de symboles, et son cercle était extrêmement limité. Elle n’offre d’intérêt qu’au point de vue des signes qui servaient à représenter les nombres : on comprend en effet que, pour la représentation des nombres, les signes hiéroglyphiques présentaient de très grands avantages sur les signes phonétiques. Les nombres ne sont pas des objets, ce sont des idées d’une nature spéciale. Pour combiner ces idées, il était donc beaucoup plus facile de combiner des signes d’idées, c’est-à-dire des hiéroglyphes, que de combiner les signes des mots qui traduisaient ces idées. « Aussi, comme l’a fort bien dit M. Charles Dareste dans son intéressante Histoire de la Numération, tandis que la plupart des signes de l’écriture hiéroglyphique disparaissaient complètement, ou peut-être se transformaient en signes phonétiques ou alphabétiques, c’est-à-dire en lettres, les signes de nombres au contraire se sont partout conservés, et ils ont perpétué leur existence jusqu’à nos jours, sans que la nature propre, c’est-à-dire la signification, s’en soit aucunement modifiée. Les hiéroglyphes numériques ou les chiffres nous présentent donc ce curieux caractère d’être les seuls débris persistans de ces anciennes écritures hiéroglyphiques dont nous avons tant de peine à retrouver le sens, et qui présentent aujourd’hui de si curieuses énigmes aux personnes qui s’occupent des premiers temps de l’histoire. »

L’arithmétique de l’ancienne écriture hiéroglyphique reposait déjà sur le système décimal ; mais il n’y avait qu’un signe pour représenter les unités décimales de chaque ordre. Un nombre quelconque étant formé par la réunion d’un certain nombre d’unités de diverses espèces, il fallait pour l’exprimer répéter le signe de chaque espèce d’unité autant de fois que ce nombre l’exigeait. Les unités simples, de un à neuf, étaient représentées par autant de lignes verticales ; les dizaines, depuis dix jusqu’à quatre-vingt-dix, l’étaient par