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les étrangers : la noblesse demanda grâce pour les comédiens et l’obtint. Trois mille danseurs et danseuses restèrent donc dans la ville, ainsi que les chœurs et leurs chorèges ; mais les professeurs d’arts libéraux furent impitoyablement chassés jusqu’au dernier.

Chez le personnage dont j’esquisse ici le portrait, les hautaines prétentions égalaient l’ignorance et la futilité. Il étalait à tout venant la vanité aristocratique à son degré le plus inintelligent, n’ayant à la bouche que les Reburrhus, les Pagonius, les Géryon, les Tarracius, les Parrhasius, et autres noms étranges, plus connus de la fable que de l’histoire. À l’exemple du maître, les valets n’en voulaient pas prononcer d’autres : c’eût été souiller le noble toit où ils servaient. Pour beaucoup de nobles romains de ce siècle, l’histoire était trop moderne et trop plébéienne : remonter aux héros mythologiques semblait plus digne, et était surtout plus aisé. Un sénateur italien ne manquait guère d’être issu de Cacus, de Géryon, ou de quelque brigand des époques antéhistoriques, seigneur de l’Italie avant l’arrivée d’Hercule ; un Grec voulait remonter à Clytemnestre et aux Atrides, un Asiatique de la Troade à Vénus et à Anchise, pourvu que ce fût par une branche aînée qui primât la famille des Jules ; enfin tout sénateur provincial se croyait tenu de descendre des anciens rois de son pays. Quant aux grands noms de l’histoire, on sait qu’ils ne meurent jamais, alors même que s’éteignent les familles qui les ont possédés ; il en restait donc à Rome un bon nombre que l’on ne contestait point, quand ceux qui les portaient étaient riches et haut placés. En résumé, le corps aristocratique romain présentait une curieuse collection de tous les mensonges vaniteux de l’univers. On eût pris le sénat de cette ville superbe, qui avait absorbé le monde, pour un théâtre où les races vaincues venaient jouer, au grand divertissement de leurs maîtres, la comédie de leurs grandeurs passées.

À côté d’hommes pareils, que pouvaient être les femmes ? Elles participaient aux mêmes vices dans la condition de leur nature, passant leur temps en intrigues d’amour, en caquetages médisans, en travaux de toilette, car leur toilette était un rude labeur. D’élégans eunuques, mêlés aux femmes de service, garnissaient les appartemens d’une noble matrone, non pas qu’on la gardât à vue comme la chose se pratiquait dans l’Orient barbare, rien n’était plus libre qu’une Romaine, mais parce que la mode avait fait de ces esclaves mutilés l’ameublement nécessaire d’un gynécée. À l’heure de la toilette, la maîtresse appartenait à ses suivantes, qui se précipitaient sur elle comme sur une proie. C’était à qui lui infligerait quelque torture, agréablement acceptée, dit un auteur chrétien du temps. L’une, armée du fer rouge et des peignes, construisait sur sa tête