Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/144

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aucune puissance ne s’intéressait à leur cause. Rien de plus significatif que la naïveté de cet aveu. Toujours est-il que, si les temps apostoliques passent pour les meilleurs, le déclin ou du moins l’altération aurait commencé depuis que, devenue sous les Constantin et les Théodose l’alliée de l’empire, l’église a participé à son pouvoir et figuré elle-même au nombre des pièces de la grande machine gouvernementale. C’est alors que s’est peu à peu formée cette opinion si répandue, si fort accréditée, que la religion est une des garanties de l’ordre politique, et qu’elle importe à la stabilité des gouvernemens. De toute évidence, une telle manière de la considérer expose l’église à quelques-uns des risques de tentation et d’entraînement qui entourent l’autorité publique, et entr’ouvre la porte du sanctuaire à l’invasion de la raison d’état.

Une fois en effet que l’église a traité avec le gouvernement et coordonné son action avec la sienne, elle emprunte quelque chose de ses habitudes et de ses prérogatives ; elle est, en dépit d’elle-même, lancée sur la pente où l’intolérance mène à la persécution. Presque tous les gouvernemens de l’histoire ont été despotiques ; elle tend à le devenir comme eux. On soutient que, la vérité étant une, la connaissance de la vérité doit être exclusive, absolue, et qu’ainsi dans l’ordre spirituel l’intolérance est légitime. Même dans l’ordre spirituel, il y aurait encore à cela des objections, au moins des restrictions à faire[1] ; mais enfin, ainsi limitée, l’intolérance reste exclusive : sortie de ces limites, où conduit-elle ? On est en possession de la vérité infaillible et obligatoire ; on a mission de la répandre, de la dicter aux intelligences et aux consciences comme leur loi. De même que l’obéissance se reconnaît à certains signes, les observances et les pratiques peuvent être exigées comme des marques d’adhésion. En même temps on est investi de certains pouvoirs, on dispose d’une armée de fidèles prêts à seconder, au moins de leur influence, l’autorité de l’église dont ils dépendent. Tout engage à recourir à la protection de l’état, dont on sert les intérêts, dont on assure la stabilité, dont on dirige les chefs. Si la religion est d’une part d’une certitude évidente, de l’autre d’une première nécessité sociale, comment le législateur et le souverain sa croiraient-ils interdit de l’imposer par la force ? Comment, s’ils croient que c’est leur droit ou leur devoir, ne seraient-ils pas approuvés de l’église ? Comment, s’ils en doutaient, ne lèverait-elle pas leurs hésitations et leurs scrupules ? Quand une église étroitement unie

  1. On peut voir dans le dernier volume publié de la correspondance de l’empereur quelle indignation lui causa cette doctrine, soutenue en pure spéculation par un journal de 1807. Il en dicta lui-même une réfutation très vive, trop vive, et donna l’ordre de l’imprimer.