Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/193

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médicament, empoisonner l’animal complètement ou incomplètement, et même l’empoisonner au tiers, au quart, etc., de manière à obtenir des effets qui non-seulement ne soient pas mortels, mais qui soient gradués et déterminés d’avance. J’ai institué depuis longtemps un grand nombre d’expériences de ce genre : j’ai pu ainsi amener des animaux à avoir seulement les quatre membres paralysés ou bien les quatre membres et la tête. Enfin j’ai pu aller plus loin et paralyser les mouvemens thoraciques en ne conservant intègre que le nerf diaphragmatique, qui suffit pour empêcher l’asphyxie. Le curare sert ainsi de moyen contentif au physiologiste, car les animaux sont véritablement enchaînés pendant plusieurs heures dans de telles expériences, qui offrent d’ailleurs de l’intérêt à beaucoup d’autres points de vue. On observe alors, quand le curare agit en petite proportion, des sortes d’agitation non douloureuses dans les membres, par suite de cette loi que toute substance qui, à haute dose, éteint les propriétés d’un élément organique, les excite à petite dose. Quand l’action du curare est arrivée à son summum, l’élimination fait peu à peu disparaître le poison du sang ; en même temps et parallèlement cessent tous les symptômes paralytiques ; puis, aussitôt qu’ils sont dissipés, l’animal se lève et court alerte absolument comme avant, et sans qu’il en résulte jamais aucun inconvénient ultérieur pour sa santé.

Revenons maintenant à notre blessé, dont il s’agit de sauver la vie et de conserver le membre. La ligature est en place, et le poison est retenu au-dessous d’elle, On devine ce qu’il faut faire : délier le bandage et laisser pénétrer le poison dans le sang ; mais dès que les membres seront pris et que la paralysie se manifestera, resserrer aussitôt la ligature ; puis, quand l’élimination aura chassé le poison et fait disparaître les effets toxiques, défaire de nouveau le bandage et laisser entrer une quantité non mortelle qui sera chassée à son tour, et ainsi de suite, jusqu’à élimination complète. Cela n’est point aussi long qu’on pourrait le penser, et en moins d’une demi-journée j’ai pu sauver des chiens de moyenne taille qui avaient été piqués avec une flèche empoisonnée.

Quand on place une ligature sur un membre pour arrêter le poison, il n’est pas nécessaire de serrer le lien outre mesure, ce qui pourrait amener l’engorgement et même la gangrène du membre ; il suffit de comprimer modérément pour empêcher le retour de sang veineux. On peut même dire qu’on n’arrête pas d’une manière absolue le passage du sang empoisonné ; mais il s’en échappe si peu à la fois que la petite quantité de poison introduite dans l’organisme est éliminée à mesure, sans pouvoir s’accumuler assez pour produire ses effets toxiques. Cela explique comment j’ai pu empêcher