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égale à celle qu’excitait leur évêque. Rien n’était plus dissemblable que ces deux hommes sortis de la même vie, animés du même enthousiasme pour la solitude, mais d’âge et de caractère différens. Le plus âgé, Ammon, semblait porter le désert avec lui ; toujours silencieux et triste, il affectait pour ce qui l’entourait une indifférence pleine de dédain : pendant tout le temps qu’il habita Rome, il ne voulut rien visiter des curiosités de cette métropole du monde que les tombeaux des apôtres Pierre et Paul. Tout au contraire Isidore, qui avait à peine vingt ans, se montrait facile à toutes les impressions, s’intéressait à tout, recherchait le monde et la compagnie des femmes, et bientôt le moine égyptien, choyé en tous lieux, se trouva introduit dans la plus haute société de Rome. « Il connaissait tout le sénat, nous dit un contemporain, et même les principales dames de la ville. » Isidore suivait ordinairement Athanase dans ses visites, soit chez Eutropie, tante de l’empereur Constance et sœur du grand Constantin, restée catholique en dépit des hérésies de sa famille, soit chez Abutéra, Spérancia et autres matrones dont l’exilé nous a conservé les noms : Ammon les accompagnait quelquefois. Une des maisons que les Égyptiens fréquentaient le plus volontiers était celle d’Albine, veuve d’un haut rang, aussi distinguée par l’esprit que par l’illustration du nom.

Restée libre de bonne heure, Albine avait renoncé aux secondes noces pour se vouer tout entière à l’éducation de sa fille unique, Marcella, encore enfant. Malgré sa ferveur chrétienne, elle aimait le monde et en partageait les idées ; elle rêvait pour sa fille un mariage éclatant et l’honnêteté avec beaucoup de richesses. Au rebours de sa mère, Marcella, qui pouvait avoir sept ou huit ans, était d’humeur mélancolique et pensive ; son esprit, ouvert, attentif au-delà des habitudes de son âge, semblait traversé quelquefois par des éclairs d’exaltation et d’opiniâtreté bizarres. Elle assistait près d’Albine aux conversations, des exilés d’Égypte, et n’était pas la dernière à s’intéresser à leurs discours, quand ils abordaient les questions relatives à la vie monastique, ce sujet d’un intérêt si neuf pour les Occidentaux. La peinture du désert, de ses horreurs, de ses combats, de ses prodigieuses austérités, de ses visions étranges, faite par des hommes qui en avaient goûté eux-mêmes les émotions, fantastiques, avait quelque chose de poignant, capable de remuer l’imagination la plus calme. On passait en revue les héros de ces luttes mystérieuses, comme celle de Jacob, où l’homme, perdu dans la solitude, se trouvait en contact direct tantôt avec les esprits malins, tantôt avec Dieu lui-même. Isidore et Ammon avaient connu Pambon, Serapion, Macaire, dans l’aride désert de Nitrie, imprégné de sel comme-le lit d’une mer desséchée ; ils avaient vécu sous la