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discipline de Pacôme, reçue dans toute l’Égypte ; Athanase pouvait parler d’Antoine, dont il avait écrit la vie, quoiqu’il vécût encore ; il pouvait le peindre dans la demeure que le saint s’était creusée entre le ciel et la terre au sommet d’un rocher. On n’oubliait pas les monastères de femmes, dont le nombre se multipliait en Orient, et l’empressement des vierges de ce pays à se courber sous une règle de fer qui perfectionnait l’âme en refoulant tous les instincts du corps. Pendant ces discours, Marcella sentait s’agiter en elle comme un tumulte de pensées confuses. Lorsqu’Athanase partit, il laissa pour souvenir à ses hôtes un exemplaire de sa vie d’Antoine, le premier qu’on eût encore vu en Occident ; l’enfant garda ce livre comme un trésor et un guide qui décida plus tard de sa vie.

Marcella grandit en beauté en même temps qu’en âge ; les contemporains nous disent qu’elle devint la plus belle des Romaines. Elle se maria, mais au bout de quelques mois une mort prématurée lui enlevait son mari sans qu’elle eût aucun espoir de postérité. Ce fut alors que se révéla la trempe de son caractère. Sa mère voulait qu’elle se remariât pour ne point laisser éteindre un nom illustre, et les prétendans ne manquaient pas autour d’une veuve si jeune et si belle ; mais elle les éconduisit l’un après l’autre sous différens prétextes. Il en vint un cependant qui ne paraissait pas de nature à être refusé, car il élevait la maison d’Albine presque au niveau de celle des césars. C’était Cérialis, frère de Galla, belle-sœur du grand Constantin et mère du césar Gallus : il avait traversé tous les honneurs, y compris le consulat ; on le respectait, on l’aimait, et il était maître d’une immense fortune. Cérialis était vieux, et, quoique fort vive, l’affection qu’il portait à Marcella avait un caractère tout paternel. Son but, en l’épousant, répétait-il, était de lui assurer ses biens et de la traiter comme sa fille. Albine et toute sa parenté appuyaient ce projet avec ardeur, de sorte que Marcella se vit assiégée de sollicitations sans nombre. Il s’établit à ce sujet entre elle et Cérialis un dialogue assez bizarre, dont les demandes et les réponses avaient lieu probablement par l’intermédiaire d’Albine et que le biographe de Marcella nous a conservé. « Que j’aie le bonheur de rendre celle que j’aime la femme la plus riche de Rome ! lui faisait-il dire. — Mes biens sont médiocres, répondait-elle, mais ils suffiront pour les pauvres et pour moi. — Je suis vieux, reprenait Cérialis, je le sais ; mais les vieillards peuvent vivre longtemps et les jeunes gens mourir vite : vous en avez la triste expérience. — Assurément, répliquait-elle, les jeunes gens peuvent mourir vite ; mais les vieillards ne sauraient vivre longtemps, et si je consentais à me remarier, je chercherais un époux et non pas un héritage. » Cérialis se retira, et Marcella fut universellement blâmée.