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presse, et au lendemain du procès des treize ? Le régime de la presse, cette exception énorme au droit commun, embarrasse M. de Persigny lui-même, on le voit bien aux efforts qu’il fait pour en justifier la durée provisoire. C’est d’abord la distinction connue entre le livre et le journal. La presse est libre, dit M. de Persigny, car on peut publier des livres ; les journaux seuls sont soumis au régime administratif. Cette distinction nous émerveille toujours chaque fois que nous la voyons reproduire. Le journal a depuis longtemps en matière politique tué le livre. Le journal est la forme moderne, la seule forme de la publicité et de la polémique politique ; la forme du journal, non moins que de merveilleuses inventions mécaniques ou appropriations physiques que tout le monde admire, le chemin de fer, le télégraphe électrique, répond pour la rapide communication des idées, pour la prompte transmission des faits qui touchent aux intérêts, pour le rapprochement actif des esprits, aux plus importans besoins de la vie moderne. On ne peut plus faire de politique dans les livres, nous avons la liberté des livres. On ne peut faire de politique que dans les journaux, nous n’avons pas la liberté des journaux. Il est heureux que l’imprimerie n’ait pas été découverte de nos jours. Quel engin redoutable n’eût-on pas vu dans le livre imprimé ! Certes on nous eût laissé la liberté des manuscrits ; le livre seul eût été dévolu de droit au régime administratif.

Le régime administratif ! Si le mot est nouveau, s’il est aride et incolore comme une expression technique, la chose malheureusement est vieille dans notre histoire. M. le duc de Persigny, qui aime à rattacher l’œuvre politique de notre temps aux traditions historiques de la France, n’a-t-il jamais réfléchi à ce qu’était le régime administratif avant 1789, et au nom tristement pittoresque sous lequel il était alors connu ? Les ministres et le roi dans l’ancien régime, avaient le pouvoir de frapper, en dehors du droit commun et de l’action des tribunaux réguliers, des pénalités contre les personnes. Ces actes du pouvoir arbitraire s’accomplissaient au moyen de ces avertissemens redoutables que l’on appelait les lettres de cachet. Aux yeux de la nation, le symbole menaçant de cette juridiction sommaire et discrétionnaire était la vieille Bastille, et ceux qui prétendent que la révolution française a été faite contre l’inégalité et non pour la liberté peuvent-ils oublier que le premier élan de l’émancipation populaire, que le premier bond de la révolution renversa la Bastille, cette représentation monumentale de l’odieuse lettre de cachet ? Certes la lettre de cachet n’a plus reparu depuis dans notre histoire avec son terrible mystère, avec la cruauté des longues détentions, avec cette menace qui planait sur la liberté de tous les citoyens ; la lettre de cachet n’exile plus dans leurs terres les courtisans disgraciés, n’envoie plus à la Bastille les écrivains turbulens, n’enferme plus dans les couvens les pécheresses récalcitrantes. Néanmoins, malgré toutes les atténuations, tous les adoucissemens, tous les ménagemens le progrès des mœurs a imposés depuis aux actes les plus sévères