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dans l’église de Saint-Pierre-in-Vincoli, il ne prit Jules II pour le maître et Moïse pour son valet.

M. Herbert s’est gardé de donner au prophète la tournure d’un Hercule, mais il n’a pu en faire un voyant, un homme inspiré, un élu de Dieu. Tenant une table de pierre sous chaque bras, ayant soin d’engager l’angle de chaque dalle dans sa ceinture pour être plus à l’aise à porter son fardeau, le Moïse du parlement me représente un négociant juif qui va montrer ses registres à un syndicat. J’aime bien mieux les figures des anciens qui vont au-devant de lui. Il y a dans ce groupe des types excellens, des expressions très variées et très finement rendues. En somme, dans cet immense tableau, il y a beaucoup à louer, beaucoup à critiquer, mais il règne dans la composition un sentiment de grandeur qui, à mon avis, rachète tous les défauts. Dans l’art, le trivial est ce qu’il y a de pire. M. Herbert est quelquefois incorrect, incomplet, mais on voit dans toutes les parties de son œuvre de nobles aspirations.

Aux difficultés du sujet se joignaient celles qui résultent de l’emploi d’un procédé de peinture nouveau. Les couleurs sont fixées sur le mur au moyen du silicate de potasse. Je me trompe fort, ou ce procédé est destiné à faire une révolution dans la peinture monumentale. On sait que le silicate est une substance à peu près incolore, et qui dans de certaines conditions est soluble dans l’eau. Lorsque l’eau est évaporée, il reste une sorte de verre d’une dureté extraordinaire. Depuis quelque temps, on en fait usage en France pour donner aux pierres tendres une résistance plus grande que n’en ont les pierres les plus dures. Le tuffeau et même la craie imprégnés de silicate mélangé d’eau deviennent aussi inattaquables aux intempéries que des cailloux, et en effet ils sont revêtus d’une couche de silex. Fixées par ce liquide sur le mur, les couleurs sont à peu près inaltérables. Pendant que je regardais le Moïse, le peintre frottait une clé contre un coin de son tableau et montrait qu’elle, s’usait rapidement sans que le frottement détachât une parcelle de couleur. J’ai appris, non sans étonnement, que M. Herbert tirait ses couleurs et son silicate de Lille. Je suis charmé de voir nos voisins recourir à notre industrie.

J’avais déjà vu en Allemagne plusieurs tableaux exécutés au moyen du silicate, qu’on appelle Wasserglass, verre liquide, nom qui, pour n’être pas aussi scientifique que le mot français, donne une idée très juste de cette substance. À Berlin, sous le porche du musée, on voit une grande composition, œuvre de M. Cornélius, je crois, dont il n’est pas trop facile de deviner le sujet, et dont le principal mérite est d’offrir un des premiers essais de peinture au silicate. Autant qu’on en peut juger, elle a été exécutée d’abord en détrempe, puis aspergée de Wasserglass. Il semble que le liquide qui a fixé les couleurs ait été projeté avec un goupillon ou bien un arrosoir : il s’est cristallisé en gouttelettes très fines, et l’aspect du tableau est celui que présente un vieux mur au moment d’un dégel.

Depuis lors, le procédé paraît avoir été bien perfectionné. On ne voit