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vallée du Danube et la Thrace, et de Constantinople l’Asie-Mineure et la Syrie. Le temps nous a conservé, sous le titre d’Itinéraire de Bordeaux à Jérusalem, un guide des pèlerins occidentaux, rédigé vers l’an 333. C’est un indicateur pratique qui contient les mansions ou auberges, et les mutations ou relais de la course publique, tout le long de la route, avec les distances en milles romains. Aux frontières de la Palestine, l’itinéraire devient un livre explicatif des curiosités que tout chrétien doit rechercher et visiter dans un voyage en terre sainte, et l’auteur y joint des renseignemens traditionnels qui sont aujourd’hui d’une grande importance pour l’histoire. Ce que nous venons de dire démontre qu’un tel voyage n’était pas alors aussi difficile qu’on pourrait se l’imaginer, et que le rendit en effet, à partir du VIIe siècle, l’occupation des provinces romaines d’Orient par les Arabes, sectateurs de l’islamisme.

À l’époque dont nous nous occupons, les pèlerins ne manquaient pas d’aller visiter, outre Jérusalem et la Palestine, la Syrie et l’Égypte, et dans ces provinces les déserts de Chalcide, de Thèbes, de Nitrie, royaumes fameux de ce monachisme qui faisait tourner tant de têtes. De jeunes enthousiastes se hasardaient même à tenter, sous quelque abbé en renom, la vie redoutable de la solitude, sauf à y renoncer bien vite et à venir raconter aux Occidentaux les merveilles qu’il ne leur avait pas été donné d’accomplir. Tout le temps que leur vocation durait (pour un très petit nombre, elle ne changea point), ils écrivaient à leurs amis d’Italie ou de Gaule des lettres destinées à la publicité, et qui, d’église en église, de province en province, circulaient avec une rapidité qui nous étonne aujourd’hui. Quand l’enthousiasme du pèlerin ou du solitaire était secondé par le talent, cette correspondance faisait découler dans les monastères naissans de l’Occident la ferveur orientale puisée à sa source. La petite thébaïde dorée que présidait Marcella au mont Aventin s’occupait avec un intérêt assidu des Occidentaux amenés par la vivacité de leur zèle dans les vraies thébaïdes de l’Orient ; on savait leurs noms, on s’enquérait de leurs souffrances, on célébrait leur victoire sur le démon, ou on pleurait leur défaite. Si leurs lettres étaient belles et édifiantes, les femmes les apprenaient par cœur, pour en réciter les passages les plus éloquens. C’est l’honneur que recevaient en 377 celles d’un moine dalmate, retiré dans le désert de Chalcide en Syrie, surtout l’épître exhortatoire par laquelle il appelait un de ses amis à venir partager les horreurs bien-aimées de sa solitude. L’ami résidait à Aquilée, se nommait Héliodore, et fut quelque temps après évêque d’Altino ; le moine n’était autre que Jérôme, pour qui commençait alors cette carrière de gloire, de travaux, de tribulations, qui en a fait un grand homme pour le monde,