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pas dans le tableau de M. Herbert ces gouttelettes scintillantes. Les tons sont mats comme ceux de la fresque, mais plus vifs, plus frais, plus lumineux. Je crois qu’on a mêlé le silicate aux couleurs avant de les appliquer sur la muraille. Rien ne rappelle davantage le ton des meilleures fresques de Pompéi, et par l’éclat et par l’apparente facilité de l’exécution. Cette facilité, je suis bien loin de la garantir. Des artistes m’ont dit que, le silicate séchant très rapidement, la peinture est courte, le pinceau peu flexible, et que les raccords se font mal entre les parties déjà sèches et celles qui sont encore humides. Tout ce que je puis dire, c’est que la peinture de M. Herbert ne porte pas de traces de ces difficultés. Au contraire on serait tenté de croire qu’elle n’en offre pas plus que la détrempe ordinaire. Je remarquais par exemple des plis de draperies très longs qui semblaient exécutés d’un seul coup de pinceau avec une couleur très fluide et très maniable. L’emploi de ce procédé fût-il en réalité un peu plus difficile que les autres, il faudrait encore examiner s’il n’a pas des qualités supérieures, à ses inconvéniens. Outre son inaltérabilité, la peinture au silicate a tous les avantages de la fresque, et le ton en est beaucoup plus fin et plus agréable. Je crois qu’on pourrait faire usage de glacis en revenant sur des parties déjà sèches et durcies, et qu’on obtiendrait de la sorte autant de transparence que dans la peinture à l’huile ; mais cela n’est pas nécessaire pour la peinture murale. La gamme des couleurs est très étendue, et sauf quelques couleurs végétales qui seraient altérées par le silicate, il n’y a guère de teintes qu’on ne puisse employer. En un mot, je ne crois pas qu’on.ait jusqu’à présent rien trouvé de plus propre à la décoration monumentale.

En France, nous sommes routiniers ; nous n’accueillons guère les novateurs, parce qu’involontairement ils se posent comme ayant eu plus d’esprit que nous autres, le vulgaire. Cependant nous avons aussi la noble fierté de ne pas vouloir demeurer en arrière des autres nations, et après nous être bien moqués de leurs modes, nous les imitons. Cela me fait espérer que nous verrons un jour de la peinture au silicate à l’intérieur et petit à petit à l’extérieur de nos monumens. Franchement, nous avons déjà largement usé de la sculpture. Nous couvrons nos édifices d’une ornementation sculptée qu’on prodigue peut-être, suivant l’axiome : quand on prend du galon, on n’en saurait trop prendre. Pour varier, « nature se plaît en diversité ; » essayons maintenant un peu de la peinture. Le pis qui puisse arriver, c’est qu’elle soit maladroitement appliquée ; on y gagnera toujours. de mettre nos pierres à l’abri de la pluie qui les ronge. Croyez que dès qu’on aura fait connaissance avec le silicate, on en perfectionnera l’emploi ; il suffira d’en indiquer les inconvéniens à nos chimistes pour qu’ils y trouvent un remède. Qu’il se présente un artiste de talent comme M. Herbert, et bientôt nos rues deviendront un musée de tableaux.


PROSPER MERIMEE.


V. DE MARS.