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et d’ordinaire ne s’inspiraient guère de l’Evangile dans le maniement des affaires humaines. Le cabinet de Vienne ne se borna pas toutefois à ce contentement intime et éphémère, à la jouissance pour ainsi dire platonique d’une rancune : il eut ses prévisions et fit ses calculs. On nous signale à cet égard un fait, peu connu jusqu’ici et assurément instructif : c’est que dès le mois de mars 1861, — à une époque où la plupart des gouvernemens s’accordaient à ne voir dans les premières manifestations de Varsovie qu’un accident sans portée, facilement réparable par quelques concessions administratives, — M. de Rechberg, dans une dépêche confidentielle adressée à quelques-uns de ses principaux agens à l’étranger, attirait déjà leur attention sur la gravité ides scènes qui venaient d’avoir lieu en Pologne. S’écartant pour cette fois du langage habituel à la chancellerie de Vienne en face de tout mouvement populaire, le ministre autrichien assignait à l’agitation de Varsovie une haute valeur morale et le caractère d’un événement qui pouvait avoir des conséquences « incalculables » dans la politique générale de l’Europe. On nous cite même une phrase textuelle de cette circulaire portant que le mouvement polonais était probablement destiné à gagner en force et en étendue et à ébranler tous les pays compris entre la Baltique et la Mer-Noire. Le désir rendait ici M. de Rechberg singulièrement perspicace. La question italienne, celle de la Vénétie surtout, loin d’en être arrivée à l’état de calme où elle se trouve maintenant, semblait alors urgente et brûlante ; les relations de jour en jour plus intimes entre les deux cours de Saint-Pétersbourg et des Tuileries faisaient appréhender une vaste combinaison où le cabinet de Vienne n’aurait certes pas trouvé son compte. Rien ne devait donc être plus agréable à l’Autriche que cette agitation de Varsovie qui, en attendant et en se fortifiant, ne pouvait avoir que l’un de ces deux effets : ou faire réfléchir la Russie et l’amener à des vues plus « saines » en matière de certains principes préconisés à Paris et à Turin, ou l’occuper au moins à l’intérieur et la paralyser au moment d’une conflagration générale. Ce qui à coup sur eût le moins plu à Vienne, c’est que le mouvement polonais se fût par impossible laissé apaiser au sein d’une conciliation quelconque. Une pareille œuvre de conciliation fut tentée par momens, — d’une manière incohérente, il est vrai, et avec de brusques retours à des compressions implacables, — mais dans une direction cependant qui était de nature à inquiéter quelque peu le gouvernement autrichien. L’homme qui, à Varsovie, représentait ce côté idéologique de la politique russe était précisément alors ce marquis Wielopolski, dont la haine violente contre l’Autriche n’était un secret pour personne, et qui, depuis les funestes