Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/331

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obtenir une amélioration sérieuse au sort de la Pologne, pour persuader, imposer en quelque sorte la modération et la clémence, pour empêcher du moins certaines mesures dont les conséquences fatales n’étaient que trop faciles à prévoir. Un langage conciliant, cela va sans dire, mais ferme cependant et significatif, ne serait point peut-être resté sans effet : il aurait dans tous les cas fait honneur aux sentimens et à la prévoyance du cabinet des Tuileries ; mais, comme il en arrive presque toujours dans des alliances purement matérielles et un peu contre nature, on évita toute explication franche dans la crainte de faire éclater une profonde divergence morale. C’était alors un axiome généralement reçu dans les chancelleries françaises que le cabinet des Tuileries marchait d’accord avec la Russie dans toutes les questions,… excepté la question polonaise, et on n’eut pas l’air de se douter que cette exception emportait au fond et à elle seule toute la règle. Le consul de France à Varsovie reçut pour instructions de dissuader les Polonais de toute entreprise dangereuse et de les amener à la conciliation ; mais en même temps M. le duc de Montebello ne fut nullement mis en mesure d’insister auprès de la cour de Saint-Pétersbourg afin qu’elle rendît de son côté cette conciliation possible. Sans doute il était juste et politique de prêcher la modération aux Polonais, mais il l’était bien moins de s’en tenir vis-à-vis des Russes à une réserve tout à fait intempestive. On ne sortit pas de cette réserve même devant l’annonce de cette effroyable mesure de conscription (septembre 1862) que tout le monde s’accordait à regarder comme un défi téméraire porté à la patience d’une nation malheureuse et exaspérée, une mesure que l’opinion publique de l’Europe, que la presse indépendante de tous les pays (et la Revue en première ligne) signalait et condamnait d’avance comme la provocation la plus inhumaine à une lutte inévitable et inégale. Chose triste à dire et bien faite pour ébranler la confiance dans la diplomatie si affairée de nos temps, au moment où la cour de Saint-Pétersbourg préparait cette œuvre d’iniquité, aucun des gouvernemens qui bientôt devaient en déplorer les suites malheureuses et en faire le sujet des plaintes réitérées, aucun de ces gouvernemens ne jugea à propos d’adresser à ce sujet des représentations préventives. Chacun garda le silence, par embarras, par malveillance ou bien par ennui, comme lord Napier. « Je me fais une règle, écrivait encore le 21 février 1863 cet ambassadeur au comte Russell, je me fais une règle de ne jamais entamer aucune discussion sur les affaires polonaises avec le ministre (Gortchakov)… » Seule, la Prusse n’avait cessé de parler de ces affaires à Saint-Pétersbourg, et l’on sait malheureusement dans quel sens. Il faut le dire cependant : il se trouva alors un