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une profondeur inconnue. Voué à d’insupportables chaleurs pendant presque toute l’année, entre un soleil sans nuages et une terre qui en réverbérait les rayons, ce pays avait cela de particulier, qu’il se refroidissait tout à coup lorsque la neige recouvrait les hautes cimes du Liban et de l’Anti-Liban, de sorte qu’on y éprouvait successivement et sans transition les souffrances extrêmes de l’été et le froid glacial de l’hiver. C’est là que la dévotion chrétienne attirait tout ce qu’il y avait d’âmes fatiguées et d’esprits inquiets dans les provinces de Syrie, d’Arabie, de Mésopotamie et dans une partie de l’Asie-Mineure.

Le désert se partageait en trois zones topographiques, correspondant à trois conditions différentes dans l’état de moine, comme on le pratiquait en Syrie. La première, située sur la limite de la Syrie habitable, l’était aussi jusqu’à un certain degré : elle avait des arbres, rares pourtant, des eaux, et un sol que la sueur humaine pouvait féconder. Dans cette zone étaient construits de grands monastères disposés pour la vie commune ; là se trouvaient rassemblés par troupes de plusieurs milliers les cénobites proprement dits, qui cultivaient la terre pour la nourriture du couvent, tournaient la meule pour écraser le blé, arrosaient le jardin ou fabriquaient des paniers, des nattes, du papier, de la toile, que venaient acheter les marchands de Chalcide ou d’Apamée ; c’est là que se trouvaient les églises et un service ecclésiastique régulier. La seconde zone était celle des reclus, qui habitaient des cellules isolées, quelquefois à deux ou trois, la plupart du temps seuls, et vivaient libres de toute règle, livrés à l’indépendance absolue de l’inspiration. Plus avancée vers l’est et moins arrosée, cette partie du désert offrait à ses habitans des labeurs plus rudes et une solitude plus austère. En poussant encore vers l’est, on entrait dans la dernière zone, formée de sables nus et de montagnes pelées, demeure torride des bêtes féroces et des serpens, où les cavernes et le bord des sources étaient infestés de scorpions. C’était la région des anachorètes ou ermites dispersés et séquestrés de tout contact humain : c’était aussi celle des austérités prodigieuses et des grandes hallucinations. Malheur à qui s’y hasardait sans une force d’âme et de corps à toute épreuve ! Parmi ses habitans, les uns passaient jusqu’à trente années dans une cellule sans en franchir le seuil, sans voir une créature humaine et sans parler ; d’autres se faisaient des demeures au fond de citernes desséchées d’où ils ne pouvaient plus sortir, et où on leur jetait de temps en temps quelques figues et du pain d’orge ; d’autres enfin, privés de toute assistance et de tout voisinage, erraient sur les montagnes, sans gîte ni nourriture, à la merci du hasard. On les nommait les paissans par assimilation aux animaux sauvages, qui vont