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étoiles, dans la forme, dans la coloration et dans la course des nuages aussi bien que dans les ondulations des flots. Je me couchai donc sans la moindre préoccupation. Au jour, on vint me rendra compte de notre position. Tout allait à merveille. Lorsque je montai sur le pont, la scène avait changé. Un voile de vapeurs, à peine-perceptibles à l’horizon, s’était subitement déployé et avait en quelques minutes envahi tout le ciel. J’ai revu ce phénomène dans les mers de Chine à l’approche d’un typhon, et je le tiens pour un des indices les plus certains d’une tempête. Le ciel n’était pas noir, mais d’un gris opaque, uniforme, d’où ne se détachait aucun nuage. Le vent, lorsqu’il souffle du nord-ouest dans le golfe de Lyon, s’infléchit au cap de Creux, et, suivant le contour de la côte, souffle du nord-est dans le canal qui sépare les îles Baléares de la Catalogne. En général, il n’accuse toute sa violence que vers le milieu de ce canal. Près de terre, il s’affaiblit, et il existe même entre le cap Saint-Sébastien et Barcelone une zone de quelques lieues de large, zone menteuse où l’on n’éprouve plus, sous la forme d’une légère brise de sud-ouest, que le remous du grand courant qui s’est produit au nord. Arrivés à la hauteur du cap de Tosa, à quelques lieues-du cap Saint-Sébastien, nous commencions à sortir de la zone abritée, et le véritable aspect du temps se montrait.

Il n’y avait jusque-là rien de bien effrayant. Le mistral ne m’avait pas empêché autrefois de traverser le golfe de Lyon avec le Furet ; il ne me détournerait pas de tenter ce passage quand j’avais sous les pieds un brick tel que la Comète. Je savais qu’en avançant je devais trouver le vent de plus en plus favorable, et que ce terrible mistral se ployait pour ainsi dire, en s’arrondissant, aux grandes inflexions du golfe. À huit heures du soir, j’étais sous le grand hunier au bas ris, la misaine, et le petit foc. Les mâts de perroquet étaient dépassés. S’il y avait quelque chance de franchir le golfe, c’était sous cette voilure. À neuf heures, je n’avais plus que le grand hunier, et à dix heures que le petit foc. Je crus qu’il ne nous fallait plus que de la patience, et je m’étendis sur les coussins de notre petite dunette. Il était deux heures du matin. Je reposais assoupi, brisé par la fatigue, lorsque je fus éveillé en sursaut. Le brick était sur le côté, la dunette pleine d’eau, et j’entendais crier sur le pont : « Nous sommes engagés. » Je m’appuyai aux deux montans de la porte et je criai à mon tour : « La barre est-elle au vent ? Défoncez les sabords ! » Un gabier de beaupré, nommé Roque, se saisit d’un anspect et fit voler en éclats le sabord de l’arrière. La Comète obéit à sa barre, et pendant que la proue cédait lentement à l’impulsion. du vent, nous sentîmes le brick se redresser. L’eau, qui tout à l’heure chargeait sa muraille, s’était écoulée par la brèche que nous