Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/391

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ne pas rendre aux choses leur caractère relatif. Les révolutions ne prennent point les sociétés dans un état de béatitude dont elles les arrachent pour les lancer dans les champs de l’inconnu ; ce qui les précède est la guerre, la lutte des états contre les états, des classes contre les classes. Pour ne parler ici que du XIVe siècle, le moyen âge ne fit, non plus que l’antiquité païenne, régner l’âge d’or : il fut un âge de fer, si l’on entend par là les guerres, les conquêtes, les invasions ; mais, à part la France, qui souffrit cruellement de guerres mal conduites contre l’Angleterre (et cela est en dehors du développement historique), le XIVe siècle ne présente point de maux exceptionnels.

On entendrait mal ce qui se passa, si l’on considérait comme une condamnation préméditée par les hommes d’alors la séparation qui commence au XIVe siècle. Ce n’est pas un mauvais régime que l’on repousse et que l’on foule aux pieds insurrectionnellement ; c’est un régime devenu insuffisant auquel on essaie de se soustraire. L’enfant qui grandit prend d’autres vêtemens, ou, si l’on veut, l’homme qui passe dans la vie à une position plus active et plus éminente a besoin de changer les dispositions de l’édifice patrimonial qu’il ne peut ni ne veut quitter, mais qu’il transforme pour sa nouvelle condition.

On m’a reproché d’avoir repoussé les opinions qui font du moyen âge un abîme de superstition et de ténèbres, d’avoir vanté les bienfaits de l’église quand elle demeure seule debout entre Rome défaillante et la barbarie envahissante, d’avoir compté parmi les grandes créations d’une société tout imprégnée du besoin de la prière et de l’ascétisme chrétien ces couvens qui, au milieu même des Germains débordés, cultivaient, enseignaient, civilisaient, enfin d’avoir assigné un rôle puissant et une noble part à l’évolution dans ce qui est considéré comme une chute profonde et une dégénération misérable par rapport à l’antiquité païenne. De la sorte, de ce côté, j’ai perdu des amis sans en gagner de l’autre côté, et ce n’est que justice de n’en avoir pas gagné, car il est bien vrai qu’une telle doctrine historique, qui ne donne aux phases sociales qu’une valeur relative, ne satisfait pas ceux qui lui donnent une valeur absolue, et qu’à ce point de vue les religions et les institutions sont des degrés d’une évolution déterminée par l’avancement corrélatif du savoir humain et de la moralité humaine.

Ainsi donc je continue à soutenir l’opinion qu’au moyen âge appartient une place honorable dans le développement humain, et que, prenant les choses où Rome, incapable de suffire plus longtemps à la tâche sociale, les quittait, il n’a laissé ni périr ni rétrograder les élémens que le monde ancien lui remettait comme à son héritier dans les plus graves et les plus critiques circonstances qui se puissent imaginer. Et comme ici, dans ce travail, je vais passer du côté