Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/396

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n’auraient pas eu d’accès. Les faits antérieurs avaient destiné ce qui fut la France à parler une langue celtique ; la conquête romaine changea cet ordre, et ce fut une langue romane qui s’impatronisa dans les Gaules. Or, tout en reconnaissant le haut mérite des idiomes celtiques, ils sont dénués de cette demi-connaissance préliminaire que le latin donne des langues romanes. Pour des Italiens et des Espagnols, la langue d’oïl jadis et le français d’aujourd’hui s’ouvrent sans peine ; la difficulté n’est guère plus grande pour des Anglais et des Germains, grâce à la commune éducation classique. C’est ainsi que la langue et les œuvres se sont aidées mutuellement dans leur diffusion à travers l’Europe.

Au XIVe siècle, toute cette grande renommée était fondée. « Déjà depuis trois cents ans, dit M. Le Clerc, nos pères avaient une poésie française. Ils avaient trouvé dans le poème héroïque de belles et hautes inspirations, dans le conte d’heureux momens de vivacité et d’esprit, dans la chanson une grande variété de rhythmes et d’agréables images, dans la comédie populaire de la gaîté et de charmantes scènes, partout une invention vraiment spontanée, et qui ne devait rien à l’imitation. Que leur a-t-il donc manqué pour produire des œuvres durables, que l’on pût lire et admirer encore aujourd’hui ? Il leur a manqué le travail du style, la pratique de cet art pour lequel ils avaient cependant les conseils et les exemples des anciens, l’art de bien dire. » En appréciant à diverses reprises notre vieille poésie, j’ai fait remarquer qu’elle était moins oubliée qu’elle né paraissait, et que, si on ne répétait plus ses chants, du moins ses types s’étaient perpétués, et que les Roland, les Renaud, les Ogier n’étaient pas moins connus que les Achille et les Hector de la célèbre antiquité. M. Le Clerc confirme ce dire : « Nous y apprenons (dans le poème de la chanson de Roland), même dans l’état où il est, par quelle majesté simple et pure, par quelle brièveté entraînante, nos grandes compositions narratives, avant les perpétuels remaniemens qu’elles ont subis, conquirent dès l’abord un ascendant qu’elles ont gardé plusieurs siècles. Ce n’était pas avec un long tissu de fictions, surchargé sans cesse d’aventures nouvelles, accru hors de toute proportion, et que l’imprimerie fit allonger encore, c’était avec un récit assez court, presque nu, mais énergique et fier dans sa simplicité, que s’emparèrent de la poésie européenne les caractères nouveaux que la France venait de créer. » Dante, bien que politiquement très hostile à la France, a placé dans le paradis les preux de nos chansons de geste. Quel plus grand témoignage pouvait-il rendre à la puissance populaire de l’imagination de nos trouvères ?

Tout cet éclat du printemps chevaleresque et féodal s’évanouit sous l’inclémence du XIVe siècle. Pendant quelque temps encore, on