Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/403

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tant la réputation que nos poètes français avaient conquise au dehors lui paraît éclatante et redoutable, tant l’Italie moderne, qu’il n’oublie pas cependant, lui semble à peine suffire pour soutenir la rivalité ! Il est vrai que, par un secret retour de patriotisme et peut-être d’amour-propre, il accueille avec défiance tout ce bruit d’une gloire étrangère, et qu’il aimerait mieux croire que c’est Paris et toute la France qui se sont trompés :

Nisi fallitur omnis
Gallia Parisiosque caput
.

Lorsque Dante, dans un rhythme harmonieux et touchant, commençait ainsi le second sonnet de la Vie nouvelle :

O voi che per la via d’amor passate,
Attendete, e guardate
S’egli è dolore alcun quanto ’I mio grave,

il avait certainement gardé la mémoire de la complainte française :

Vous qui alez parmi la voie,
Arestez vous, et chascuns voie
S’il est dolor tel com la moie (mienne).

Les critiques italiens trouvent dans son style beaucoup de gallicismes, et l’un d’eux ajoute qu’il rapporta de France autant de nouvelles locutions que jadis Homère des dialectes de la Grèce. Le fait est qu’à cette époque les gallicismes font invasion dans le style italien. Le maître de Dante, Brunetto Latini, qui écrivait en français avec une grande correction, dit en italien, comme s’il parlait français, san faglia (sans faille), manera (manière), torno (tournée), triare (trier), zae (çà), convotisa (convoitise), etc., tous mots que l’académie de Florence, malgré son respect pour les vieux textes, a exclus de son dictionnaire comme étrangers. Un auteur du même temps que Brunetto, c’est-à-dire appartenant au XIIIe siècle, dit : donna gente (dame gente), se m’ aiuto Dio (si m’aïe Deus, ainsi Dieu me soit en aide), oreglie (oreilles), per plusor ragioni (par plusieurs raisons), accatar (acheter), amico tradolce mio (mon très doux ami), etc. Toutes ces locutions, l’auteur pouvait les lire dans des ouvrages français qui l’avaient précédé de plus d’un siècle. L’académie de la Crusca n’a pas non plus admis comme italien ces expressions de l’historien, Villani : agio (âge), semmana (semaine), intamato (entamé), etc. Dans Boccace, on signale dimora (demeure), vegliardo (vieillard), non ha longo tempo (il n’y a pas longtemps), etc. Fazio degli Cherti, le petit-fils du superbe Farinata degli Uberli que Dante rencontre en enfer, non content, en son poème intitulé il Dittamondo, de prendre des mots comme bigordare (behourder, jouter), in transi (en transe), lice (lice), fait en français