Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/413

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Quand la ville était en sa fleuri… C’est l’expression de Guillebert, et alors cependant nos désastres frappaient même les étrangers. « Non, je ne reconnais plus rien de ce que j’admirais autrefois, dit Pétrarque. Ce riche royaume est en cendres ; les seules demeures aujourd’hui debout sont celles qui étaient défendues par les remparts des villes ou des forteresses… Les écoles de Montpellier, que j’ai vues si florissantes, sont aujourd’hui désertes. La Gascogne, l’Aquitaine, ont été dévastées par la guerre et le brigandage… Paris, où régnaient les études, où brillait l’opulence, où éclatait la joie, n’amasse plus de livres, mais des armes, ne retentit plus du bruit des syllogismes, mais des clameurs des combattans ; le calme, la sécurité, les doux loisirs, ont disparu. Qui eût jamais imaginé que le roi de France, resté invincible par le courage, serait en effet vaincu, pris, racheté, et qu’à son retour, ô honte plus cruelle encore, il serait contraint, lui et son fils, de faire un pacte avec les bandits pour n’être pas attaqué sur la route ? Qui dans cet heureux royaume eût pu se figurer, même en songe, de telles catastrophes ? Et si un jour il se relève, comment la postérité voudra-t-elle y croire, lorsque nous-mêmes, qui en sommes témoins, nous n’y croyons pas ? »

Bien que saint Louis eût rassemblé dans la Sainte-Chapelle de son palais un certain nombre de livres copiés pour la plupart à ses frais, qu’il aimait à lire, et que cependant il prêtait volontiers, la véritable histoire de la bibliothèque royale ne commence qu’avec Charles V, le jour où il fonda la librairie de la tour du Louvre, non, bien entendu, le Louvre actuel, mais l’ancien Louvre, qui fut beaucoup agrandi par Charles V, et dont les restes ont disparu dans le XVIIe siècle. D’anciens documens nous ont décrit les deux étages que le roi fit préparer dans cette tour, et dont les lambris étaient de bois d’Irlande, la voûte de bois de cyprès, et le tout chargé de basses-tailles ou bas-reliefs ; les croisées fermées de barreaux de fer, de fil d’archal et de vitres peintes ; les bancs, les tablettes, les lutrins et les roues (pupitres tournans) ajoutés à ceux qui furent transportés de la librairie du palais ; enfin les trente petits chandeliers et la lampe d’argent allumés le jour et la nuit, afin qu’on pût travailler à toute heure. En faisant le relevé des listes qui nous sont parvenues, on a un total de onze cent soixante-quatorze volumes ; mais ces listes ne comprenaient pas tous les livres du roi. Ce qui fait pour nous le prix de tous ces titres d’ouvrages, comme de ceux que possédaient les princes, les princesses, les seigneurs, les bourgeois même, c’est que nous y trouvons enfin la plus riche réunion des grands monumens de notre littérature nationale au XIIe et au XIIIe siècle. « Qu’on ajoute, dit M. Le Clerc, à cet inventaire les divers