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candidats de la science comme une seconde patrie. Ces rues étroites, ces hautes maisons, avec leurs voûtes basses, leurs cours humides et sombres, leurs salles jonchées de paille, ne s’effaçaient pas de la mémoire. Lorsque les anciens condisciples se rencontraient, après plusieurs années, à Rome, à Jérusalem, ou sur les champs de bataille que se disputaient la France et l’Angleterre, ils se disaient : Nos fuimus simul in Garlandia[1]… Faut-il l’avouer ? nous ne pouvons aujourd’hui même retrouver sans un certain respect les restes oubliés, et qui disparaissent chaque jour, du vieux quartier de la Montagne, la place où étaient les collèges détruits, et ceux dont nous voyons encore les dernières ruines. Le Petit-Pont, par où les écoles se frayèrent la voie de Notre-Dame à Sainte-Geneviève, la rue Galande, la rue du Fouarre, le clos Bruneau, la rue Saint-Hilaire, voilà les humbles ateliers de l’intelligence et de l’étude, les obscurs laboratoires d’où est sortie la société moderne. »

Les princes de la maison de Valois furent ce qu’on peut appeler, par anticipation, des bibliophiles. Jean, lorsqu’il n’était encore que duc de Normandie, aimait déjà les beaux livres, car un acte du 24 octobre 1349 nous apprend que Thomas de Maubeuge, libraire à Paris, lui avait vendu un romant de moralité sur la Bible quatorze florins d’or. Il avait avec lui, à Poitiers, un exemplaire de la Bible historiaux, sur lequel on peut encore lire, au Musée britannique : cest livre fust pris ove (avec) le roy de France à la bataille de Peyters. Prisonnier de l’Angleterre pendant quatre ans, le roi acheta, pour se distraire, des poésies françaises : à Lincoln, un roman de Renart, qui lui coûta 4 sous 4 deniers ; à Londres, au moment de rentrer en France, quelques jours après la paix de Bretagne, un Garin le Loherain, pour un noble ou 6 sous 8 deniers, et le tournoiement de l’Antéchrist, pour 10 sols. Les comptes du roi, tenus à Paris en 1351, font mention de son enlumineur Jehan de Montmartre, et ceux de Londres, en 1359, de Jacques le relieur de livres et de Marguerite la relieresse. À ce prince, qui fut moins un roi qu’un gentilhomme.frivole et prodigue, l’histoire attribue une belle parole : « Quand la bonne foi serait bannie de la terre, elle devrait se retrouver dans le cœur des rois. » Une complainte du temps sur la bataille de Poitiers rapporte de lui un mot que nos annales n’ont pas recueilli :

Quant li rois se vit pris, si dit par grant constance :
« C’est Jehan de Valois, non pas li rois de France. »

Ce mot, soit vrai, soit, comme cela est arrivé plus d’une fois, fait après coup, est d’une grande noblesse. S’il n’est pas du roi, il est

  1. Garlandia, c’est aujourd’hui la rue Galande.