Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/425

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du XIIIe siècle et le XIVe siècle furent agités par une doctrine désignée ordinairement sous le nom d’évangile éternel et qui était certainement sortie de leur imagination entreprenante. A-t-il jamais existé un livre sous ce titre ? Jusqu’à quel point leur général Jean de Parme ou quelqu’un de ses moines a-t-il dû être soupçonné d’avoir sinon fabriqué, du moins répandu et accrédité le texte de la nouvelle promesse ? Ces questions sont loin d’être encore résolues. Quoi qu’il en soit, nous avons la condamnation qui fut portée contre une introduction à l’évangile définitif, liber introductorius, espèce de préface composée d’un choix de textes que le nom de l’abbé Joachim, ce prophète d’un nouvel âge, paraissait avoir consacrés. Entre les propositions condamnées, la première est celle-ci : « vers l’an 1200 de l’incarnation du Seigneur, l’esprit de vie étant sorti des deux testamens, naquit l’évangile éternel. » Dans ce livre était dit sans cesse avec des similitudes variées que l’évangile éternel surpassait et achevait les deux révélations antérieures : « L’Ancien Testament n’était encore que la clarté des étoiles, ou le vestibule du temple, ou le brou de la noix, le nouveau, la clarté de la lune, le sanctuaire, la coquille, tandis que l’évangile éternel nous apporte la clarté du soleil, le saint des saints, la noix elle-même. » Ce nouvel évangile, ce troisième testament devait amener parmi les hommes la félicité universelle par la pauvreté des spirituels et des parfaits et par la communauté des biens. L’avènement en avait été fixé à l’an 1260, et comme rien n’arriva cette année-là de ce qui avait été prédit, d’autres prophètes y substituèrent l’an 1325 ou 1335, puis l’an 1360 et 1376. Le tiers ordre de saint François, les fraticelles, les mendians, les flagellans s’agitèrent sous l’aiguillon de ces promesses et troublèrent profondément la société. Les papes sévirent, et plus d’une fois alors il fut question de supprimer les franciscains, comme plus tard furent supprimés les jésuites. Quelques-unes des propositions condamnées du liber introductorius montrent quelles idées d’insubordination et d’ambition fermentaient parmi ces moines. « L’église romaine, disaient-ils, ne possède que le sens littéral du Nouveau-Testament, et n’en a pas l’intelligence spirituelle ; aussi les spirituels (c’est-à-dire les religieux) ne sont pas tenus d’obéir à l’église de Rome, ni d’acquiescer à son jugement dans les choses qui sont de Dieu… Ce qu’on appelle le Nouveau-Testament est pour nous l’ancien, et doit être rejeté… Le Christ et ses saints apôtres n’ont pas été parfaits dans la vie contemplative. L’ordre des clercs, fait pour la vie active, ne suffit plus à l’édification, au salut, au gouvernement de l’église ; l’ordre des moines ou des contemplatifs peut seul l’édifier, la sauver, la gouverner. » A Marseille, en 1318, furent brûlés quatre franciscains qu’on appela les quatre martyrs, jugés coupables d’avoir