le caractère historique du XIVe siècle, indiquer celui du moyen âge, et, pour apprécier les lettres en ce siècle ; les apprécier dans les siècles antérieurs, chose d’autant plus nécessaire que plus d’un lecteur est habitué à croire que dans le haut moyen âge il n’y a eu aucunes lettres françaises, et que le travail de l’esprit français et son renom ont une date récente.
Ceux qui ne se fieraient pas assez à la théorie de l’histoire pour en conclure déductivement l’office du moyen âge peuvent le déterminer par une induction directe dont voici les élémens. Il est certain que, vers le VIe ou VIIe siècle de notre ère, il reçoit des mains des Romains et des Barbares la civilisation antique, et qu’au XVIe il nous rend les germes actifs de la civilisation moderne. Cette vue de ce qu’il reçoit et de ce qu’il rend suffirait pour résoudre le problème ; mais allons plus loin. L’opinion commune inculquée par le zèle des érudits du XVIe par l’ignorance du XVIIe, par l’hostilité systématique du XVIIIe, est que tout cet intervalle d’environ neuf cents ans est une ère de barbarie, de superstition et de ténèbres. Or, dans cette opinion, on est déçu par une illusion qui fausse les faits : c’est d’opposer le moyen âge à l’époque brillante de la Grèce et de Rome. Les choses ne se sont pas ainsi passées : bien longtemps avant le moyen âge, la civilisation païenne languissait, s’affaissait, se mourait ; les lettres, les arts, la langue, les sciences même, qui résistent plus longtemps, étaient en proie à une maladie chronique qui semblait incurable. L’intrusion des Barbares dans le monde romain rendit plus grave, plus profonde, cette décadence naturelle, qui aurait été fatale, s’il ne fallait ajouter qu’en même temps il se faisait une nouvelle religion et se préparait un nouvel avenir. En outre la monarchie universelle de Rome, qui se serait inévitablement défaite d’elle-même, avait été violemment défaite par les Barbares. C’est dans cette situation que le moyen âge prit l’héritage de l’antiquité et les destinées du monde, et qu’il dut, s’il était à la hauteur de sa mission, arrêter le mouvement de décadence, puis le remplacer par un mouvement inverse qui donnât la vie à la langue, aux lettres, aux arts, aux sciences, et en même temps créer un système politique qui remplaçât la monarchie romaine. Tout cela fut fait, la chose est incontestable ; mais, pour savoir si cela fut bien fait, il faut le soumettre à deux conditions capitales : la première, c’est que cette civilisation intermédiaire ainsi créée ne s’immobilisât point et fût de nature à briser les entraves, si les entraves survenaient ; la seconde, que cette même civilisation intermédiaire pût, à un moment donné, renouer les liens d’origine avec l’antiquité païenne et les beaux temps de la Grèce et de Rome. Le XIVe siècle a donné satisfaction à la première, le XVIe siècle à la seconde, et ainsi se trouvent justifiées devant l’histoire les voies du moyen âge.