Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/43

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changer de fond en comble les mœurs chrétiennes ne reculait pas non plus devant les sophismes : toutefois elle put s’apercevoir que l’exagération nuisait à son but, et la société fut en droit de reprocher aux nouveaux docteurs qu’ils voulaient remplacer un mal par un autre.


« Soldat efféminé, disait-il à Héliodore par allusion à son premier état, que fais-tu sous le toit paternel ? Où est le rempart, où est le fossé et l’hivernage sous la tente de peau ? Tu te reposes, et la trompette divine a déjà retenti. Le grand empereur arrive sur les nuées, il vient combattre le monde ; un glaive à deux tranchans sort de sa bouche : il court, il bouleverse, il détruit. Et toi, tu ne quitterais pas ton lit pour la bataille, l’ombre où tu te tiens pour le soleil ! Lève-toi, le courage te rendra la force…

« Rappelle-toi le jour où tu t’enrôlas dans la milice du Christ. Enseveli avec le Sauveur sous le vêtement blanc du baptême, tu juras de le servir, de lui tout sacrifier, jusqu’à ton père et ta mère : tu l’as promis ! Verrais-tu ton père étendu à la porte sur le seuil pour t’empêcher de passer, passe sans verser une larme ; passe, tu es soldat, ton drapeau est là-bas : c’est la croix. Songe qu’être cruel pour les siens au nom du ciel, c’est être vraiment pieux, c’est sauver avec soi ceux qu’on aime. Lorsqu’un jour, le front couronné de l’immortel laurier, tu entreras, vainqueur des obstacles, dans la Jérusalem céleste, ta vraie patrie, devenu citoyen d’en haut avec Paul, tu obtiendras aussi pour ta famille le droit de cité, oh ! alors, souviens-toi de moi : rappelle-toi la voix qui t’a excité à vaincre !

« Ah ! je sais bien que des entraves puissantes te retiennent, et que tu les opposes à mes exhortations. Je ne suis pas insensible, crois-le bien ; je n’ai point été engendré par les roches du Caucase, et le lait que j’ai sucé n’est pas celui des tigresses d’Hyrcanie. J’ai connu comme toi les épreuves, les séparations, les déchiremens de l’âme. Je vois d’ici ta sœur, qui est veuve, se suspendre à ton cou, te retenir par ses embrassemens, te défendre de partir. Non loin de là se tiennent les esclaves qui t’ont vu naître et grandir ; ils te crient : « A quel maître allez-vous nous laisser ? » Puis c’est ta nourrice cassée de vieillesse, ton précepteur qui eut pour toi des soins de père ; ils te remontrent que quelques jours à peine leur restent à vivre : « que ne les laisses-tu mourir d’abord ? » Ta mère aussi vient opposer à ton départ une sainte barrière, sa face ridée par les ans et cette poitrine aujourd’hui desséchée où tu puisas la vie ; elle fredonne peut-être pour t’arrêter ces mêmes chants dont le murmure t’endormait dans ton berceau… Ami ! bouche tes oreilles et fuis. Tu me diras sans doute que l’Esprit saint nous ordonne d’obéir à nos parens. Oui, mais il nous enseigne aussi que les aimer plus que le Christ, c’est renoncer au Christ. Pierre tira l’épée pour empêcher le Sauveur de mourir, et le Sauveur condamna sa lâche précaution comme un sujet de scandale. Paul voulait aller à Jérusalem, où la prison l’attendait ; les fidèles de Césarée essaient de l’en dissuader : « Non, non, leur répond-il, vous tenteriez en vain d’affaiblir mon cœur ; je suis prêt à tout souffrir pour la gloire de mon Dieu. » Voilà la règle du chrétien. Si nos proches croient véritablement, ils nous soutiendront ; s’ils ne