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c’est progrès. Que l’on compare à cet égard l’âge moderne avec le moyen âge, et que l’on réponde. M. Le Clerc a porté un juste jugement lorsque dans le XIVe siècle il a vu « une époque qui commence beaucoup de choses, dont quelques-unes ne sont pas encore achevées. »

De même que politiquement l’histoire de France se partage en deux portions, le régime féodal et la monarchie administrative, avec un intervalle de transition qui comprend environ le XIVe et le XVe siècle, de même littérairement elle offre deux époques de production originale et d’éclat, l’une comprenant le XIIe siècle et le XIIIe, l’autre comprenant le XVIe siècle et les suivans, avec un intervalle de transition qui répond à peu près à l’intervalle politique. Donc le XIVe, comme il a été noté, n’occupe pas un rang très élevé dans les lettres. Pourtant, dans ce jugement, il importe de ne pas se méprendre. Ce n’est point une ère d’inertie où les facultés soient amorties et stérilement occupées ; il y a des espérances de force et de renouvellement, et si la foule de ceux qui écrivent ne laisse entrevoir que bien peu de renommées durables, l’esprit de la nation est actif, entreprenant, courageux, et travaille énergiquement pour l’avenir.

Qu’est-il donc réellement arrivé ? La source des grandes compositions d’un âge poétique s’étant épuisée et l’éclat littéraire amorti, la France cessa pour un instant d’être lue, imitée, traduite par l’Europe. C’est là qu’on voit nettement comment se tarit une veine. Les siècles féodaux vivent dans la poésie des trouvères, et certes il viendra un temps où tout homme cultivé voudra faire connaissance avec les barons, les fervestus, les chevaliers, les châtelains, et ne dédaignera pas cet âge intermédiaire, sans parler du charme particulier de ce français archaïque, qui est pourtant du français et qui nous plaît comme la voix lointaine de nos aïeux. Les siècles féodaux vivent, dis-je, dans la poésie des trouvères ; mais quand la féodalité commença à déchoir dans l’ordre politique et dans l’opinion, tout fut dit pour la poésie qu’elle avait inspirée. Un grand vide se fit. Les circonstances ne furent pas favorables : il ne parut pas d’hommes ; le temps emporta les peuples et leur histoire, et quand les hommes et les circonstances reparurent, le monde et l’art étaient changés.

L’idéal aurait été qu’il n’y eût point eu de vide ; mais, à vrai dire, il n’y en eut point. La place laissée par la France fut occupée aussitôt par l’Italie, qui jusqu’alors n’avait point donné marque de son génie. Trois noms surtout emplissent, à elle, son XIVe siècle, Dante, Pétrarque et Boccace. On trouverait dans Thibaut, dans quelques autres, des chants qui rivalisent avec ceux de Pétrarque