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recouverts d’un ciment toujours en place ; d’autres fois la construction est sans revêtement, et les paremens lisses des blocs, aux joints se croisant en losange, rappellent l’opus reticulatum de Vitruve, ouvrage qu’affectionnaient les Romains. Le mortier qui relie les joints est partout de si bonne composition que pour abattre la maçonnerie il faut la mine, et rarement c’est le lit de pose qui cède, la pierre plutôt se fend. Quand je visitai ces ruines curieuses, que nul antiquaire n’a encore classées, un contadino du voisinage vint à moi : « Ah ! monsieur, me dit-il, du temps de la reine Elbe, il y a des mille et mille ans, il existait là une ville qu’on appelait Faleria. — Celle où naquit Démétrius ? — Può darsi, peut-être bien, répondit l’homme sans se troubler. Et comme je manifestais quelques doutes sur l’existence de la reine Elbe, que les insulaires croient par tradition contemporaine d’Énée et qui aurait donné son nom à l’île : — Pourquoi alors appellerait-on notre pays l’Isola dell’ Elba ? fit en haussant les épaules l’archéologue campagnard.

Quand on fait l’ascension de l’une des cimes qui se dressent sur le plan de l’île, le mont Capanne, le Giove, le Volterrajo, la vue dont on jouit sur la mer, quel que soit le point de l’horizon vers lequel on se tourne, est des plus magiques. Toutes les îles de l’archipel tyrrhénien, satellites de l’Elbe, apparaissent au-dessus de l’eau comme autant de terres flottantes. Au nord, c’est la Gorgone et son roc dénudé, la Capraja avec son volcan éteint ; au sud, c’est Pianosa au relief à peine visible, Monte-Cristo, pointe de granit hantée naguère des contrebandiers, Giglio avec ses belles montagnes et son port bâti par les Romains ; à côté de Giglio, Giannutri, le Dianum des Latins ; à l’est enfin, c’est l’îlot de Palmajola, l’ancienne île des Palmes, avec son phare blanc, et Cerboli avec sa vieille tour[1]. Sur la terre ferme, on découvre une longue étendue de côtes, depuis le Monte-Argentario, limite méridionale de la Toscane, jusqu’au Monte-Altissimo, qui sépare cette province du Modenais. Le beau golfe de Follonica déroule aux yeux du spectateur sa courbe demi-circulaire, fermée au sud par le cap Troja, jadis doublé par le pieux Énée, et limitée au nord par la pointe de Piombino, où s’élève le vieux château fort des Pisans[2]. Derrière Piombino est

  1. Quelques-unes de ces îles ont une célébrité historique. C’est à Pianosa que fut exilé Agrippa sous le règne de Tibère, à Capraja que se réfugièrent au IVe siècle les moines partis de Rome.

    Processu pelagi jam se Capraria tollit ;
    Squalet lucifugis insula plena viris,

    dit dans son Itinéraire Rutilius Numatianus, un des derniers païens de l’empire, et à ce titre ennemi juré des moines.

  2. C’est au pied de ce château que stationnait la flotte de Pise. Les navires qui passaient par le canal payaient le tribut à la république, pour être convoyés par ses vaisseaux et protégés contre les pirates. Ils recevaient en signe d’acquit un plomb aux armes de Pise ; de là le nom de Piombino donné à la localité.