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l’école française et l’école italienne ont produit de maîtres distingués, sans compter les professeurs d’Allemagne, d’Amérique et d’Angleterre, toute cette illustre phalange a passé par ses mains. À tous il a dévoilé ce qu’il savait de la géologie et de la minéralogie de son île, de tous il a en retour appris quelque chose qu’il ignorait. L’âge (il a soixante-cinq ans) n’a point a battu ses forces ; c’est toujours un marcheur infatigable, et bien que l’usage incessant du marteau et la poussière des minerais, à laquelle il attribue des propriétés malfaisantes, lui aient, dit-il, déformé les mains, il semblait encore prêt, la dernière fois que je le vis, à entreprendre de nouvelles explorations. Un certain découragement, une sorte de spleen s’étaient cependant emparés de lai. Quand il m’eut reconnu, quand je fus dans sa confidence, il alla chercher un vieux portefeuille. « Je ne sais pas lire, me dit-il, mais j’ai là de précieux autographes, les certificats de tous les savans qui m’ont employé, les lettres qu’ils m’ont écrites, et puis ils ont parlé de moi dans leurs livres, je le sais. Eh bien ! si un jour les jambes m’abandonnent, si la misère vient, j’irai à Pise ou à Florence, et là, sous un portone, j’étalerai tous ces papiers. C’est bien le diable si je ne trouve pas quelqu’un qui y entende quelque chose, qui me les prenne pour un morceau de pain ! » Je fus étonné de ces paroles. — « Le métier ne va donc pas, Cervello-Fine ? — On ne trouve plus rien, plus de beaux cristaux, reprit-il, et les professeurs ne passent plus. Il faut vendre à des ignorans qui vous marchandent le prix des pierres. Voyez là-bas, dans ce coin : les araignées tendent leurs toiles sur le feldspath et la tourmaline, la poussière salit mes fers oligistes, et je n’y prends plus même garde. » Je crus d’abord que, comme tous ceux qui avancent en âge, Pinotti regrettait le passé ; j’ai su depuis que l’abus qu’il faisait de l’excellent vin de l’île d’Elbe ne lui permettait plus, au grand désappointement des touristes, les mêmes excursions qu’autrefois.

Les gisemens minéralogiques dont il vient d’être question sont sans doute fort intéressans ; mais la grande richesse de l’île d’Elbe, ce sont ses mines de fer, gîtes merveilleux qui n’ont pas d’analogues dans le monde, et qui seuls maintenant vont nous occuper. Quand, parti de Piombino sur une de ces petites barques à voile latine qui sillonnent l’archipel toscan, on met le cap sur la côte orientale de d’île, sur la marine de Rio, on ne tarde pas à passer devant l’îlot de Palmajola. Le gardien du phare, heureux de trouver « ne occasion de se distraire sur son rocher désert, vous hèle au passage. Les matelots échangent avec lui des signes d’amitié, et bientôt, le vent ou la rame aidant, on reconnaît le cap di Pero, le point le plus avancé de l’Elbe vis-à-vis de la côte de Toscane. Alors