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on longe le rivage sur lequel le Monte-Giove avec son vieux château crénelé, puis le Monte-Fico et le Monte-d’Arco s’alignent en dômes arrondis, isolés, comme autant de puys, ces cratères éteints de l’Auvergne. Le Monte-Castello, le Monte-Serrato, élèvent leurs points culminans plus avant dans l’intérieur de l’île, et partout les flancs des montagnes sont couverts de l’épaisse végétation des maquis, éternel manteau de verdure. Tout à coup un amas de blanches maisons se découvre à l’œil du voyageur. Un pont-embarcadère, sur lequel une nuée d’hommes vont et viennent, s’avance dans la mer, où sont ancrés de nombreux navires ; la plage est encombrée de roches extraites, et le sol, jusqu’à une hauteur de 200 mètres aux pentes des collines, affecte une seule teinte d’un rouge sanguin : c’est là Rio-Marina avec ses immenses mines de fer.

La dernière fois que j’abordai ces pittoresques rivages, c’était en juillet 1864, un matin. J’étais parti de Piombino aux premières lueurs du jour, non sans avoir échangé avec la douane et la santé les formalités de rigueur, tout comme au temps de l’ancien grand-duc. J’oubliai ces mesquines tracasseries devant l’immense majesté de la mer, et poussé tantôt par la voile, tantôt par le bras vigoureux des rameurs, j’arrivai bien vite à Rio. La plage, qui s’ouvrait à moi riante et hospitalière, présentait un aspect encore plus animé que de coutume. Devant une première rangée de maisons se tenait le marché en plein vent. Le marin, reconnaissable à son bonnet phrygien, le mineur à sa figure rougie par le fer, l’exilé napolitain à ses guêtres de cuir, à son chapeau pointu orné de plusieurs tours de rubans, tout ce monde allait et venait, achetant, marchandant. C’était la scène de la Muette de Portici avec un décor comme n’en a point l’Opéra. À l’ombre, le long des murs, se tenaient les ânons mélancoliques qui avaient porté les provisions au marché, et qui, loin de retourner à vide, devaient ramener leur maître au logis. Dans les auberges, les cafés, disséminés tout le long du rivage, une foule bruyante mangeait, buvait, et parmi ces lieux ouverts aux chalands on distinguait l’osteria di tutti, l’auberge de tout le monde, dont l’enseigne philosophique, en lettres noires sur fond blanc, se lisait même de la plage. Sur le sable avaient été tirés les bateaux pêcheurs, où vivait en paix sous la tente la famille entière du marin. Une ligne de points brillans, noirs, métalliques, poussière cristalline détachée du minerai, marquait la séparation entre l’eau et la terre, et servait d’arène à la plage. Les eaux de la rade, à une grande distance, étaient colorées en rouge par celles de la rivière de Rio, qui reçoit le rebut du lavage de déblais ferrugineux. Le ciel et la mer étaient calmes. À l’horizon, perdu dans la brume, on distinguait Piombino ; une courbe indécise, sinueuse,