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on arrachait les crampons qui scellaient les pierres entre elles. Le chômage des mines dura près de trois siècles ; ce n’est qu’au temps de la domination de Pise que l’île d’Elbe fut repeuplée : les mines furent alors rouvertes, les Barbaresques, qui infestaient depuis longtemps ces mers, repoussés en mainte rencontre, et la vente de la vena di ferro procura à la république une source assurée de fortune. C’était au pied de la tour qui fut plus tard celle de la faim que l’on venait déposer le minerai. Gênes, jalouse de sa rivale, détruisit tous les établissemens de Pise après la terrible bataille navale de la Meloria, livrée en 1288 près de l’embouchure de l’Arno. Les Pisans mirent bien des années à se relever de cet échec, et quand en 1309 ils rachetèrent l’île d’Elbe et ses mines des mains des Génois, ils durent payer 56,000 florins d’or, soit 680,000 francs de notre monnaie[1]. Il fallut recourir à un emprunt pour trouver cette somme. Les plus notables citoyens, les plus riches marchands prêtèrent leur or à la république, qui leur donna hypothèque sur les mines ou du moins les remboursa en minerai. L’opération, fut si fructueuse pour les prêteurs que le bénéfice retiré par eux égala bientôt le capital avancé. On extrayait alors environ dix mille tonnes par an, et ce chiffre, qui n’est que le dixième de celui de l’extraction actuelle, est resté le même jusqu’à la fin du siècle dernier. Le minerai se vendait, au XIVe siècle, de 50 à 60 francs la tonne, cinq fois plus cher qu’aujourd’hui.

Les choses allèrent ainsi à Piombino et à l’île d’Elbe jusqu’au jour où le traître Gérard Appiani, capitaine du peuple, vendit Pise aux Visconti de Milan. C’était en 1400. Les Appiani se réservèrent la seigneurie de Piombino et de l’île d’Elbe, et jusqu’à l’aurore du XVIIe siècle, où leur branche s’éteignit pour faire place à celle des Ludovisi-Buoncompagni, ils dominèrent dans ces contrées. Ils se mirent successivement sous la protection de Sienne et de Florence, puis du saint-empire, de qui ils achetèrent les titres de comtes et de princes. Incapables de résister aux Barbaresques, ils défendirent faiblement l’île d’Elbe ; des villages entiers furent mis à sac et rasés. Celui où séjournaient les mineurs de Rio, Grassola, fut ainsi un jour entièrement détruit par Barberousse, et les hommes et les femmes emmenés en esclavage, les hommes pour ramer sur les galères, les femmes pour peupler les harems. C’est quelque temps après cette équipée de Barberousse que Charles-Quint prit Tunis, et délivra du même coup tous les prisonniers faits à l’île d’Elbe (1535).

Il ne convenait pas à quelques-uns des états intéressés de laisser des Appiani seuls maîtres des mines et du détroit. Aussi, dès le milieu du

  1. C’est à M. Ulrich, aujourd’hui inspecteur des mines de l’île d’Elbe, et qui a fait sur le moyen âge italien des études économiques fort remarquables, que je dois la connaissance de la valeur du florin d’or de Pise au XIVe siècle.