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publiée plus tard à Constantinople, le dialogue contre les lucifériens, où il traite de matières théologiques, suivant la méthode de Cicéron et de Platon, la vie de Paul, ermite, ce moine si différent de ceux qu’il venait de quitter, et quelques autres de ses premiers ouvrages. Sa réputation d’homme érudit et éloquent s’établissait tellement dans l’église orientale, que Paulin voulut se l’attacher en le faisant prêtre. Jérôme s’y refusa longtemps, et lorsqu’il y consentit de guerre lasse, il posa nettement ses conditions dans des termes qu’il nous fait connaître lui-même. « Mon père, dit-il à l’évêque au moment de son ordination, je ne t’ai point demandé le sacerdoce, et si en me donnant la qualité de prêtre tu ne m’ôtes pas celle de moine, je n’ai rien à objecter : c’est à toi de répondre du jugement que tu as porté de moi ; mais si, sous le prétexte du sacerdoce, tu prétendais m’ôter la liberté de la solitude, et me ramener dans le siècle auquel j’ai renoncé, tu te trompes, car pour moi cette liberté est le souverain bien. Maintenant agis comme tu voudras, mon nouvel état ne fera rien perdre comme il ne fera rien gagner à ton église. » Le caractère indépendant de Jérôme se révélait là tout entier. Sa répugnance pour toute chaîne et son éloignement des fonctions sacerdotales allèrent si loin que, s’il dit la messe le jour de son ordination, ce qui n’est pas certain, il est certain qu’il ne la dit pas une seconde fois, même dans des cas de nécessité pressante et presque de devoir. Il joignit dans ces temps de complète liberté les voyages à l’étude, et visita Jérusalem, où son séjour ne fut pas long. La Palestine offrait assurément des spectacles bien vénérables, et que Jérôme plus qu’un autre était digne de sentir ; mais ce qu’il lui fallait alors avant tout, c’était le travail, la science, le mouvement des idées, quelque chose en un mot de cette activité intellectuelle que l’Orient possédait presque avec excès et qui l’enivrait. Il avait aussi compté trouver à Jérusalem ou Rufin lui-même, ou quelque lettre de lui ; son attente fut doublement déçue et il rentra dans Antioche, le cœur peiné. « Une amitié qui peut se rompre n’a jamais été véritable, » avait-il écrit de Chalcide au compagnon de jeunesse qui le délaissait : il ne croyait pas si bien prophétiser.

La présence de Grégoire de Nazianze l’attira et le retint à Constantinople où il passa les années 379, 380 et 381. Grégoire fit de lui son ami malgré la différence des âges ; il ouvrit à cet esprit curieux les trésors de l’érudition orientale dont Jérôme avait soif, et celui-ci, pendant le reste de sa vie, se glorifia des leçons du grand homme, qu’il appelait son précepteur et son maître. Il put voir dans sa compagnie ce que l’Orient avait de plus célèbres docteurs, entre autres Grégoire de Nysse, qui lut devant lui sa réfutation d’Eunomius. Tout en réprouvant les vices du clergé romain et les prétentions