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teaux à mortiers, prirent position devant le fort de Mac-Allister, qui défend l’embouchure de la rivière Ogeechee et la ville de Savannah, et le bombardèrent à 1,200 mètres de distance moyenne. Pendant sept heures, les énormes boulets du poids de 150 kilogrammes et les obus de 40 centimètres de large firent voler en tourbillons le sable et la terre des remparts, dont l’épaisseur n’est pas moindre de 12 mètres; mais ils ne réussirent pas même à démonter un seul canon. Il est vrai que les bateaux cuirassés furent aussi invulnérables que le fort. L’armure du Passaic, après avoir été frappée trente-sept fois, offrait à peine quelques égratignures.

L’amiral Dupont, mal dirigé peut-être par des ordres venus de Washington, consentit à mettre son escadre cuirassée à une nouvelle épreuve bien plus redoutable que la première, et le 7 avril il franchit hardiment la barre de Charleston. La flotte fédérale se composait d’une grande frégate cuirassée de 12 canons, le New-Ironsides, de la canonnière blindée le Keokuk et de sept monitors à coupole tournante, le Passaic, le Weehawken, le Montauk, le Patapsco, le Catskill, le Nantucket et le Nahant. Ces navires étaient armés de pièces du plus fort calibre, lançant des boulets de 150 et même de 200 kilogrammes ; mais à eux tous ils ne comptaient que 32 canons, et leur équipage s’élevait au plus à 1,100 hommes. Avec ces moyens relativement faibles et sans le secours de troupes de débarquement, l’amiral Dupont ne pouvait songer à réduire une cité que défendaient 30,000 soldats, et dont les abords sont gardés par une série de fortifications ayant un développement de plus de 20 kilomètres et pourvues d’une formidable artillerie. Une telle entreprise eût été insensée. L’escadre fédérale devait évidemment se borner à une reconnaissance vigoureuse, mesurer sa puissance offensive sur un ou plusieurs des forts en terre et en brique qui gardent l’entrée de la baie, et se retirer après avoir fait tout le mal possible aux remparts ennemis.

Le but de l’amiral Dupont était de concentrer toute la puissance de ses navires sur le célèbre fort Sumter, et notamment sur la partie la plus faible de cet ouvrage, tournée vers le nord-ouest; mais, pour arriver en face des murailles qu’il voulait bombarder, il lui fallait d’abord traverser une avant-baie semi-circulaire bordée pour ainsi dire par une ceinture de forts, au sud ceux de l’île Morris, au nord ceux de l’île Sullivan, à l’ouest le redoutable Sumter avec ses trois étages de batteries. Vers midi, l’escadre se met en marche, précédée par le Weehawken, qui pousse devant lui une espèce de radeau ou diable destiné à pêcher les machines infernales qui parsèment la baie et la rade extérieure de Charleston. Les navires passent lentement devant les forts de l’île Morris, mais sans pouvoir attirer leur feu; un silence de mort règne derrière les remparts. L’escadre avance sans être in-