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quiétée ; elle entre dans le cercle fatal qu’entourent 300 canons au feu convergent. L’artillerie des confédérés est toujours muette. Tout à coup la flotte est arrêtée. Le Wechawken et les navires qui le suivent viennent se heurter contre une chaîne tendue du fort Sumter à l’île Sullivan et garnie dans toute sa longueur de machines infernales. De son côté, le vaisseau-amiral le New-Ironsides est pris en travers par le courant et n’obéit plus à son gouvernail. C’est alors que toutes les batteries confédérées tonnent à la fois; pendant trente minutes, elles lancent près de 3,500 projectiles de divers calibres sur les neuf bateaux cuirassés, qui ont à peine le temps de répondre par une centaine de coups. Le Nahant est frappé de 30 boulets qui brisent en divers endroits son armure de fer; le Passaic et le Nantucket, également criblés de blessures, ont leur coupole endommagée et ne peuvent plus se servir de leurs canons ; le Catskill et le New-Ironsides sont aussi grièvement atteints. Le Keokuk, qui s’est embossé à 500 mètres du fort Sumter, est le plus maltraité de tous les navires ; il ne reçoit pas moins de 90 boulets qui percent sa coque en dix-neuf endroits au-dessus et au-dessous de la ligne de flottaison. Enfin l’amiral Dupont donne le signal de la retraite, et la flotte, dont cinq bateaux sont déjà réduits à une impuissance complète, sort lentement du cercle de feu et jette l’ancre en dehors de la barre. Il était désormais démontré que les monitors et les autres vaisseaux de forme analogue ne sont pas capables de soutenir le feu croisé de solides fortifications lançant de lourds projectiles à de courtes distances. Dès le lendemain du combat, le Keokuk sombra non loin du rivage de l’île Morris. C’était le second navire cuirassé que perdait la marine américaine. Trois mois auparavant, pendant la nuit du 30 au 31 décembre 1862, le célèbre Monitor lui-même, l’adversaire du Merrimac, avait été englouti en pleine mer, au large du cap Hatteras.

Quelques semaines après les funestes événemens de Charleston, la guerre, que les froids de l’hiver et les longues pluies du printemps avaient interrompue, recommençait en Virginie sur les bords du Rappahannock. Depuis la sanglante bataille de Fredericksburg, c’est-à-dire depuis plus de quatre mois et demi, les deux armées, Moquées l’une et l’autre par la crue des rivières et par la boue des chemins, n’avaient pu que s’observer mutuellement, et de rares escarmouches avaient seules troublé la trêve que la saison imposait aux belligérans. Les fédéraux reprirent l’offensive vers la fin du mois d’avril. Trompant la vigilance du général Lee par d’insignifiantes démonstrations faites en face de Fredericksburg, à l’endroit où Burnside avait traversé la rivière, Hooker réussit à transférer une grande partie de son armée en amont du confluent du Rapidan et du Rappahannock. Le 29 avril, il franchit ces deux rivières, établit son