Ce vaniteux solennel, qu’avaient gâté les adorations des peuples de l’Orient, et qui ne pouvait s’empêcher de prendre des allures de triomphateur rien que pour aller de sa maison d’Albe à Rome, affectait un ton impérieux et hautain qui lui aliénait tout le monde. Ce qui déplaisait encore plus que son insolence, c’était sa dissimulation. Il avait une sorte de répugnance à communiquer ses projets aux autres; il les cachait même à ses amis les plus dévoués, qui avaient intérêt à les connaître pour les soutenir. Cicéron s’est plaint plus d’une fois qu’on ne pouvait jamais savoir ce qu’il voulait; il lui est même arrivé de se tromper complètement sur ses intentions véritables et de le fâcher en croyant le servir. Cette dissimulation obstinée passait sans doute, aux yeux du plus grand nombre, pour une profonde politique; mais les habiles n’avaient pas de peine à en démêler le motif. S’il ne disait son opinion à personne, c’est que le plus souvent il n’avait pas d’opinion, et, comme il arrive assez ordinairement, le silence ne servait chez lui qu’à couvrir le vide. Il marchait à l’aventure, sans principe fixe ni système arrêté, et ne portait jamais les yeux au-delà des circonstances présentes. Les événemens l’ont toujours surpris, et il a bien montré qu’il n’était pas plus capable de les diriger que de les prévoir. Son ambition elle-même, qui était sa passion dominante, n’avait pas des vues précises et des prétentions décidées. Quelques dignités qu’on lui offrît pour la satisfaire, on voyait bien qu’elle souhaitait toujours autre chose; on le voyait sans qu’il le dît, car il cherchait assez gauchement à le cacher. C’était sa tactique ordinaire de faire le dégoûté, et il voulait qu’on le forçât à accepter ce qu’il souhaitait le plus obtenir. On comprend que cette comédie trop répétée ne trompait plus personne. En somme, comme il a successivement attaqué et défendu tous les partis, et qu’après avoir paru souvent désirer une autorité presque royale, il n’a pas essayé de détruire la république quand il en avait le pouvoir, il nous est impossible de savoir aujourd’hui quels projets il avait conçus, ou même s’il avait conçu quelque projet.
Il n’en est pas ainsi de César. Celui-là se rendait compte au moins de son ambition, et il savait nettement ce qu’il voulait faire. Ses projets étaient arrêtés avant même qu’il ne fût entré dans la vie publique; il avait formé dès sa jeunesse le dessein de changer la constitution de son pays. Le spectacle des révolutions auxquelles il assistait lui en avait fait naître la pensée, le sentiment qu’il avait de sa valeur et de la médiocrité de ses ennemis lui donna la force de l’entreprendre, et une sorte de croyance superstitieuse en sa destinée, assez ordinaire chez les gens qui tentent ces grandes aventures, l’assurait d’avance du succès. Aussi marchait-il résolument