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vers son but, sans témoigner pour l’atteindre une ardeur précipitée, mais sans le perdre jamais de vue. Bien savoir ce qu’on veut n’est pas une qualité commune, surtout à ces époques troublées où le bien et le mal se mêlent, et pourtant le triomphe n’appartient qu’à ceux qui la possèdent. Ce qui fit surtout la supériorité de César, c’est qu’au milieu de ces politiques irrésolus qui n’avaient que des projets incertains, des convictions hésitantes et des velléités d’ambition, il avait seul une ambition réfléchie et un dessein arrêté. On ne l’abordait pas sans subir l’ascendant de cette volonté puissante et tranquille, qui avait la pleine vue de ses projets, la conscience de ses forces et la certitude de la victoire. Cicéron le subit comme les autres malgré ses préventions. En présence de tant de suite et de fermeté, il ne put s’empêcher de faire des comparaisons fâcheuses avec le trouble et l’inconsistance de son ancien ami. « Je suis de votre avis sur Pompée, écrivait-il à demi-mots à son frère, ou plutôt vous êtes du mien, car voilà longtemps que je ne chante plus que César. » C’est qu’en effet il suffisait d’approcher un véritable homme de génie pour reconnaître tout ce qu’il y avait de vide dans cette apparence de grand homme que des succès faciles et un air de majesté bouffie avaient imposé si longtemps à l’admiration des sots.

Il ne faudrait pas croire cependant que César fût un de ces opiniâtres qui s’obstinent contre les événemens et ne consentent jamais à rien changer aux plans qu’ils ont une fois conçus. Personne au contraire ne savait mieux que lui se plier aux nécessités. Son but restait le même, mais il n’hésitait pas, quand il le fallait, à prendre les moyens les plus différens pour l’atteindre. Précisément à l’époque qui nous occupe, une de ces modifications importantes eut lieu dans sa politique. M. Mommsen a fort bien établi que ce qui distingue César des hommes qu’on lui compare d’ordinaire, Alexandre et Napoléon, c’est qu’à l’origine il était plus un homme d’état qu’un général. Il n’est pas sorti des camps comme eux, et il n’avait fait encore que les traverser lorsque, par occasion et presque malgré lui, il est devenu un conquérant. Toute sa jeunesse s’est écoulée à Rome dans les agitations de la vie politique, et il n’est parti pour la Gaule qu’à l’âge où Alexandre était mort et Napoléon vaincu. Évidemment il avait conçu le dessein de se faire le maître sans employer les armes; il comptait détruire la république par une révolution intérieure et lente, et en conservant autant que possible, dans une œuvre aussi illégale, les dehors de la légalité. Il voyait que le parti populaire avait plus de goût pour les réformes sociales que pour les libertés politiques, et il pensait avec raison qu’une monarchie démocratique ne lui répugnerait pas. En multipliant les trou-