Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/694

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bles, en se faisant le complice secret de Catilina et de Clodius, il fatiguait les républicains timides d’une liberté trop remuante et les préparait à la sacrifier volontiers au repos. Il espérait de cette façon que la république, ébranlée par ces assauts journaliers qui épuisaient et lassaient ses défenseurs les plus intrépides, finirait par tomber un jour sans violence et sans bruit; mais, à notre grande surprise, au moment où ce dessein si habilement concerté semblait près de réussir, nous voyons que César y renonce tout d’un coup. Après ce consulat où il avait gouverné tout seul, réduisant son collègue à l’inaction et le sénat au silence, il s’éloigne de Rome pour dix ans et va tenter la conquête d’un pays inconnu. Quel motif le décidait à ce changement inattendu? On aimerait à croire qu’il éprouvait quelque dégoût pour cette vie de basses intrigues qu’il menait à Rome, et qu’il voulait se retremper dans des travaux plus dignes de lui ; mais il est bien plus probable qu’après avoir reconnu que la république tomberait d’elle-même, il comprit qu’il fallait une armée et un renom militaire pour avoir raison de Pompée. Ce fut donc sans entraînement sans passion, de propos délibéré et par calcul, qu’il se décida à partir pour la Gaule. Quand il prit cette résolution importante et qui a tant servi à sa grandeur, il avait quarante-quatre ans. Pascal trouve que c’était commencer bien tard, et qu’il était trop vieux pour s’amuser à conquérir le monde. C’est au contraire, à ce qu’il semble, un des efforts les plus admirables de cette énergique volonté qu’à l’âge où les habitudes sont irrémédiablement prises, où l’on est entré sans retour dans la voie qu’on doit suivre jusqu’à la fin, il ait brusquement commencé une vie nouvelle, et que, quittant tout d’un coup ce métier d’agitateur populaire qu’il avait fait vingt-cinq ans, il se soit mis à gouverner des provinces et à diriger des armées. A la vérité ce spectacle est plus surprenant pour nous qu’il ne l’était alors. Ce n’est guère l’habitude aujourd’hui qu’on s’improvise administrateur ou général à cinquante ans, et ces choses nous semblent demander une vocation spéciale et un long apprentissage; l’histoire nous prouve qu’il en était autrement à Rome. Ne venait-on pas de voir le voluptueux Lucullus, qui allait commander l’armée d’Asie, se faire enseigner l’art de la guerre pendant le voyage et vaincre Mithridate à son arrivée? Quant à l’administration, un riche Romain l’apprenait chez lui. Ces vastes domaines, ces légions d’esclaves qu’il possédait, ce maniement d’une immense fortune qui souvent dépassait celle de plusieurs royaumes de nos jours, le familiarisaient par avance avec l’art de gouverner. C’est ainsi que César, qui n’avait encore pu s’exercer au gouvernement des provinces et au commandement des armées que pendant l’année de sa préture en Espagne, n’eut pas