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besoin de plus d’études pour vaincre les Helvètes et organiser les pays vaincus, et qu’il se trouva être du premier coup un admirable général et un administrateur de génie.

C’est à cette époque que recommencèrent ses liaisons intimes avec Cicéron, et elles durèrent autant que la guerre des Gaules. Cicéron avait souvent l’occasion de lui écrire pour lui recommander des gens qui voulaient servir sous ses ordres. C’était l’ambition de la jeunesse à ce moment de partir pour le camp de César. Outre le désir de prendre part à de grandes choses sous un tel général, on avait aussi l’espoir secret de s’enrichir dans ces contrées lointaines. On sait de quel charme se pare ordinairement l’inconnu, et comme il est facile de lui prêter tous les agrémens qu’on souhaite. La Gaule était pour les imaginations de ce temps ce que fut l’Amérique au XVIe siècle. On supposa que dans ces pays qui n’avaient été visités par personne on trouverait des trésors amoncelés, et tous ceux qui avaient leur fortune à faire se hâtaient d’aller trouver César pour avoir leur part du butin. Cet empressement ne lui déplaisait pas ; il témoignait du prestige qu’exerçaient ses conquêtes et servait à ses desseins. Aussi invitait-il volontiers les gens à venir avec lui. Il écrivait gaîment à Cicéron, qui lui avait demandé un grade pour un Romain inconnu : « Vous m’avez recommandé M. Offius ; si vous voulez, je le ferai roi de la Gaule, à moins qu’il n’aime mieux être lieutenant de Lepta. Envoyez-moi qui vous voudrez, afin que je l’enrichisse. » Justement Cicéron avait auprès de lui à ce moment deux personnes qu’il aimait beaucoup et qui avaient grand besoin d’être enrichies, le jurisconsulte Trebatius Testa et son frère Quintus. L’occasion était bonne ; il en profita pour les envoyer tous les deux à César.

Trebatius était un jeune homme de beaucoup de talent et d’une grande ardeur pour l’étude, qui s’était attaché à Cicéron et ne le quittait pas. Il avait abandonné de bonne heure, pour venir à Rome, sa pauvre petite ville d’Ulubres, située au milieu des Marais-Pontins, Ulubres la déserte, vacuœ Ulubrœ, dont on appelait les habitans les grenouilles d’Ulubres. Il avait appris le droit, et comme il y était devenu très fort, il rendait sans doute beaucoup de services à Cicéron, qui n’a jamais bien su la jurisprudence, et qui trouvait plus commode de s’en moquer que de l’apprendre. Malheureusement, les consultations étant gratuites, les jurisconsultes ne faisaient pas fortune à Rome. Aussi Trebatius était-il très pauvre malgré sa science. Cicéron, qui l’aimait sans égoïsme, consentit à se priver de l’agrément et de l’utilité qu’il trouvait dans son commerce, et il l’envoya à César avec une de ces lettres charmantes de recommandation qu’il savait si bien écrire et dans lesquelles il dé-