Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/697

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rivait de Rome. Il se contenta de lui faire offrir le titre et les avantages d’un tribun militaire, sans les fonctions, bien entendu. Trebatius ne jugeait pas que ce fut un prix suffisant pour la longueur du voyage et les dangers du séjour, et il songeait à revenir. Cicéron eut beaucoup de mal à l’empêcher de faire un coup de tête. Je ne crois pas qu’il y ait dans sa correspondance rien de plus agréable et de plus piquant que les lettres qu’il écrit à Trebatius pour l’engager à rester. Avec ce jeune homme obscur, pour lequel il avait une si vive affection, Cicéron se mettait à l’aise. Il osait rire librement, ce qui ne lui arrivait pas avec tout le monde, et il riait d’autant plus volontiers qu’il le savait triste et qu’il désirait le consoler. Il me semble que cette peine qu’il se donne pour égayer un ami malheureux rend ses plaisanteries presque touchantes, et que le cœur ici prête un charme de plus à l’esprit. Il lui arrive de se moquer doucement de lui pour le faire sourire, et de le plaisanter de choses dont il savait que le bon Trebatius souffrait volontiers d’être raillé. Par exemple, il lui demande un jour de lui envoyer tous les détails de la campagne. « En fait de récits de bataille, lui dit-il, je me fie surtout aux plus peureux, » probablement parce que, s’étant tenus loin du combat, ils en ont mieux pu voir l’ensemble. Une autre fois, après avoir témoigné quelque frayeur de le voir exposé à tant de périls, il ajoute : « Heureusement que je connais votre prudence ; vous êtes beaucoup plus hardi à présenter des assignations qu’à harceler l’ennemi, et je me souviens que, quoique vous soyez bon nageur, vous n’avez pas voulu passer en Bretagne de peur de prendre un bain dans l’Océan. » Pour calmer ses impatiences, il lui fait peur des mauvais plaisans. N’est-il pas à craindre, s’il revient, que Laberius ne le fasse entrer dans quelqu’un de ses mimes? Ce serait une assez plaisante figure de comédie que celle d’un jurisconsulte effrayé qui voyage à la suite d’une armée et exerce son art parmi les barbares; mais, pour imposer silence aux mauvais plaisans, il n’a qu’à faire fortune. Qu’il revienne plus tard, il reviendra plus riche, Balbus l’a promis. Or Balbus est un banquier; il ne parle pas au sens des stoïciens, qui prétendent qu’on est toujours assez riche quand on peut jouir du spectacle du ciel et de la terre; il parle en Romain et veut dire qu’il reviendra bien garni d’écus, more romano, bene mommatum. Trebatius resta, et il fit bien. César ne tarda pas à le remarquer et se plut dans son amitié. Il s’habitua lui-même à la vie des camps, et finit par devenir un peu moins peureux qu’il ne l’était à son arrivée. Il est probable qu’il revint riche, comme Balbus l’avait prédit, car si l’on ne trouvait pas en Gaule tous les trésors qu’on allait y chercher, la libéralité de César était une mine inépuisable qui enrichissait tous ses amis. Dans la