Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/732

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sous le nom de Bertrand de Rays. Ils partirent le lendemain avec dix hommes seulement. Quand Jeanne la comtesse sut leur venue, elle vint au-devant d’eux, et, s’avançant vers son père, lui dit : « Beau prud’homme, quel est votre nom ? — Dame, répondit-il, je me nomme Bertrand de Rays, et je suis venu ici par votre commandement. — Prud’homme, dit Jeanne, vous êtes le bienvenu, mais allez en votre hôtel, et vous viendrez quand je vous manderai. »

« La comtesse s’avisa alors d’une grande trahison : elle prit vingt hommes armés qu’elle mit en embuscade contre Baudoin pour le prendre quand il viendrait vers elle, et leur dit que le pape lui avait mandé qu’un homme nommé Bertrand de Rays avait trahi Rome, que partout où il serait trouvé il fallait qu’il fût pris et pendu, et elle dit que son père était ce Bertrand. Quand donc les hommes d’armes le virent, ils le saisirent et l’entraînèrent. Le prévôt de Tournay leur disait : « Messeigneurs, que vous a fait cet homme ? Menez-le vers la comtesse, s’il a failli, et s’il ne sait pas répondre, faites-en à votre volonté. » Mais les hommes d’armes ne voulaient point écouter le prévôt. « Par Dieu ! leur dit-il alors, vous vous méprenez grandement, car vous ne savez pas quel est celui que vous traitez si mal, et puisque vous ne voulez pas vous départir de vos mauvais traitemens, je vous notifie que cet homme est Baudoin, comte de Flandre, le père de la comtesse, qui est allé combattre les Sarrasins, a été en captivité pendant quinze ans, et par la grâce de Dieu est revenu en sa terre. Ne lui faites donc plus de déplaisir, car il est notre légitime seigneur. — Certes, lui dirent-ils, prévôt, vous mentez, car cet homme est Bertrand de Rays, un méchant qui a trahi le pape et Rome, et le pape a mandé que, quelque part qu’il fût trouvé, il soit pris et mis à mort. — Non, non, dit le prévôt, c’est le bon comte Baudoin. » Mais malgré les prières et les menaces du prévôt ils entraînèrent l’homme dans la halle de Lille chassèrent le prévôt et ses gens, et fermèrent les portes. Alors le prévôt dans sa colère cria : « Ah ! bonnes gens de Lille, venez secourir votre bon comte Baudoin, qui est en péril de mort. » Les gens de la commune de Lille coururent donc aux portes de la halle et criaient que pour Dieu on ne fît point mal au comte Baudoin ; mais les méchans qui le tenaient ne voulurent rien écouter et le pendirent à une des poutres du bout de la halle, et s’ils ne l’eussent pas fait, la comtesse Jeanne les aurait fait mourir. Aussitôt que le comte fut pendu, un sergent parut à la fenêtre et cria : « Ecoutez, écoutez, de par monseigneur le comte Ferrand et de par Mme la comtesse, nous faisons savoir à tout le peuple, petits et grands, que l’homme que nous avons pris et pendu est Bertrand de Rays, le méchant qui avait trahi le pape et les Romains. Ainsi donc, on vous