Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/840

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

occupations contraires qui donne son véritable ton à la physionomie de notre personnage. Au moment où il menait si vivement ses opérations sur Bruxelles, Maurice a su que M. de Maurepas venait de démembrer une partie de la capitainerie de Chambord pour l’attribuer à un M. de Saumery, petite affaire en apparence. Les Saumery, depuis longtemps et à divers titres, étaient établis sur le domaine de Chambord ; éconduits par la donation faite au maréchal, on avait cru leur devoir ce dédommagement, j’ai presque dit cette restitution. Les châteaux de la couronne admettaient sous bien des formes (gouverneurs, sous-gouverneurs) certaines situations où telle famille une fois installée semblait avoir un droit héréditaire. Tels étaient les Saumery à Chambord. Saint-Simon raconte que les Saumery étaient partis de très bas, leur aïeul, un des valets d’Henri IV, ayant été placé comme jardinier à Chambord, et la famille s’étant poussée peu à peu par d’heureuses alliances aux premiers rangs de la cour ; il est vrai que tout cela est démenti de nos jours par M. le marquis de Saumery, qui fait remonter jusqu’au XIIIe siècle la noblesse de sa maison[1]. Quoi qu’il en soit, on peut se demander si les Saumery n’avaient pas fait cause commune en 1746 avec les ennemis du maréchal de Saxe. Maurice paraît avoir pour eux le même sentiment de haine qui inspirait la plume de Saint-Simon. Lorsqu’il apprit le 25 janvier que la terre de Saumery, située au beau milieu de la capitainerie de Chambord, en était démembrée, cette nouvelle lui causa un tel déplaisir qu’il fut sur le point d’envoyer sa démission au roi. Envoyer sa démission ! quitter un commandement si envié, si glorieux, et le quitter, comme il dit, « au plus fort de sa besogne ! » Oui, en vérité, il en eut le désir un instant, et telle était la violence de sa colère que la considération seule du bien public put en arrêter l’explosion. « Mais je suis honnête homme, ajoute-t-il, et j’ai la fatuité de croire que personne ne serait venu à bout de cette entreprise. » Il plaide ensuite sa cause avec une véhémence extraordinaire : « Comment M. de Saumery a-t-il pu obtenir un tel brevet ?… Ne croyez pas, monsieur, que M. de Saumery en use avec modestie ; il cherche à me dégoûter de Chambord. » Il y avait donc quelque cabale sous jeu, et l’ancien gouverneur du château était mis en avant par des ennemis cachés dans l’ombre ? On ne saurait s’expliquer autrement cette charge à fond du maréchal. Dès la première escarmouche, il veut qu’on sache bien à quel adversaire

  1. La dernière édition des Mémoires du duc de Saint-Simon (Hachette, 1864) contient une réclamation très digne de M. le marquis de Saumery, très dignement acceptée par M. le marquis de Saint-Simon. Il y a là un bel exemple. Dégagée des passions de l’époque, la postérité des combattans accomplit simplement son devoir de dignité courtoise. C’est dans les tomes deuxième et quatrième de l’édition en treize volumes que se trouvent, parmi les notes, les deux réclamations de M. le marquis de Saumery.