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on s’attaque. Celui qui tiendra tête aux princes du sang, celui qui en plus d’une occasion mettra le marché en main au roi Louis XV, n’est pas homme à tolérer les taquineries d’un agent subalterne.


« Comment avez-vous pu, monsieur, balancer un moment entre moi et M. de Saumery pour me donner le déplaisir le plus sensible, moi qui vous sers si utilement et qui vous aime ? Car enfin, si je ne vous aimais pas, je me garderais bien de vous écrire comme je fais, je me plaindrais hautement, je remettrais Chambord au roi avec éclat, et j’accompagnerais cette plainte de toutes les choses qui peuvent marquer mon mécontentement ; mais je veux me louer du roi, je veux me louer de vous, et je veux vivre tranquille dans la retraite où la destinée m’a conduit, sans que M. de Saumery puisse troubler cette tranquillité. Redressez donc cette affaire, si vous le pouvez, en changeant ce brevet, en le réduisant au simple, et faites-le promptement. Ce n’est point la chasse qui tient au cœur à M. de Saumery, — car, sans parler du démembrement de la terre de Saumery, il a détruit la capitainerie de Chambord, — mais bien les moyens de me donner des désagrémens, car, pour de la chasse, je lui en ferai tant, que lui et ses amis seront las de tirer ; mais, encore une fois, ce n’est pas ce qu’il cherche.

« Vous ne pouvez calmer mes craintes là-dessus qu’en changeant ce brevet. Ainsi ne vous appliquez point à me faire des assurances de la bonne conduite de M. de Saumery ; je sais de quel bois il se chauffe, et l’idée que j’ai du peu de cas que l’on fait d’un général en France, quand on n’en a pas besoin, ne me laisse que peu de chose à espérer sur les différends que j’aurais indubitablement avec M. de Saumery par la suite, si je laissais le moindre jour à contestation.

« Pardonnez la franchise avec laquelle cette lettre est écrite ; elle vous doit être un garant de mon attachement. »


Ces misères seraient indignes de l’histoire, si elles n’étaient le prélude des coalitions intérieures contre lesquelles Maurice aura bientôt à se défendre. Avez-vous remarqué ces paroles empreintes d’une prévoyance amère : « le peu de cas que l’on fait d’un général en France, quand on n’en a plus besoin ? » Maurice savait bien que la France lui serait toujours reconnaissante, mais il savait aussi à quelles misérables intrigues était en proie le gouvernement de Louis XV. Si le vainqueur de Fontenoy est un aventurier, ce n’est pas un aventurier courtisan. Il est trop fier pour plier devant les camarillas. Il aime le soldat, qui le lui rend bien, et méprise les généraux d’antichambre. On aimerait mieux sans doute que la hauteur de son langage attestât la hauteur de son âme ; on voudrait que sa fierté en face des grands de la cour lui vînt de quelque sentiment désintéressé : n’importe, au milieu de la bassesse générale des caractères, quand l’intrigue est partout, et quelles intrigues ! ces francs éclats de colère font plaisir à entendre.

Sa lettre terminée, Maurice a repris sa besogne. Le siège suit