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son cours. L’ennemi voit se resserrer d’heure en heure le cercle de feu qui l’environne. Les murs sont battus en brèche ; on va gravir le rempart. Enfin le gouverneur se souvient de l’avertissement de Maurice : une fois les Français au seuil de la place, qui pourra contenir leur élan ? Ce sera trop tard pour capituler, les fourmis seront partout. Il capitule donc, mais les parlementaires essaient une dernière fois d’obtenir les honneurs de la guerre pour la garnison. « Tout n’est pas perdu, disent-ils, nous attendons des secours. — Vous avez raison, dit Maurice ; des gens de cœur qui attendent des secours ne doivent pas se rendre. Retournez derrière vos remparts et défendez-vous. » Ce défi les accable ; ils voient qu’ils n’ont rien à espérer, et qu’une main de fer les étreint. La capitulation est signée, toute la garnison sera prisonnière. Tout est-il donc fini ? Pas encore. L’ennemi a quatre jours pour évacuer la ville et se rendre au vainqueur. Or Maurice a quelque raison de mettre en doute la bonne foi des Autrichiens. Le prince de Waldeck, qui commande un corps d’armée dans Anvers, a la tête chaude ; cela veut dire, dans le langage de Maurice, que le prince de Waldeck pourrait bien se laisser entraîner à un mouvement déloyal. On vient d’apprendre précisément que le prince a fait sortir toute la garnison d’Anvers « et n’y a laissé que deux méchans bataillons autrichiens. » Où va-t-il donc ? Il est un peu tard pour secourir Bruxelles, et s’il ne l’a point fait jusqu’ici, c’est que Maurice, par ses dispositions, y avait mis bon ordre. Le prince de Waldeck essaiera peut-être de mettre à profit l’embarras inévitable qu’une si énorme capture doit causer au maréchal de Saxe. Il attaquera l’armée française en face, tandis que la garnison prisonnière, révoltée contre ses maîtres et déchirant le traité, viendra les prendre à dos. « Ma position, écrit Maurice, ne serait pas tout à fait certaine, ayant quinze mille hommes à dos, pendant que l’armée ennemie se serait présentée devant moi. Du moins cette garnison aurait-elle pu m’échapper, et je n’aurais pas rempli mon projet. » Heureusement, pour un chef tel que Maurice, un danger prévu cesse d’être un danger. Le prince de Waldeck, après d’inutiles manœuvres, est forcé de retourner à Anvers. C’est là en effet la merveille de ce siège, accompli en face d’une armée ennemie : s’il a pu être mené à bien en trois semaines avec autant de vigueur que d’humanité, c’est grâce à ces dispositions d’ensemble, qui, dominant tout le théâtre de la guerre, contenant l’ennemi sur tous les points, assuraient presque à jour fixe la reddition infaillible d’un corps d’armée. Et quelle armée ! Que de princes ! que de généraux ! Voltaire, un peu ébloui par les récits du temps, affirme que la garnison de Bruxelles comptait plus d’officiers que de soldats. C’était du moins un état-major comme on n’en voyait guère dans une place assiégée, car personne n’avait prévu l’entre-