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même procédé ? Cette pensée, qui s’est offerte un instant à son esprit, il l’a repoussée en homme d’honneur. « Je suis trop bon serviteur du roi pour rendre à M. le prince de Conti ce qu’il me fait. Je veux cependant lui en faire la peur en le menaçant de m’en retourner au camp de Louvain. » S’en retourner au camp de Louvain, c’était laisser le prince de Conti aux prises avec l’armée autrichienne et lui ménager quelque déroute sanglante qui eût mis fin à ses prétentions militaires. La situation n’était plus tenable. Dix jours après, le roi permettait au prince de Conti de revenir auprès de lui et réunissait les deux armées sous le commandement du comte de Saxe.

On devine quels ressentimens s’amasseront dans l’âme du prince de Conti. D’Argenson, qui l’appelle « un ambitieux misanthrope, » nous le peint avec « beaucoup d’idées qui se croisent et toute incapacité de les lier ensemble, » ayant une sorte de mérite, mais un mérite « rivé par la présomption, » si bien que « son savoir et son esprit valent moins que l’ignorance et la faiblesse[1]. » Cet ambitieux misanthrope, « dupe de quiconque lui parle avec suffisance, » deviendra l’instrument des cabales de Versailles contre le bâtard étranger, et peut-être sera-ce lui qui tuera en duel le comte de Saxe. La tradition orale, en dépit des écrivains de l’époque, n’a cessé d’affirmer jusqu’à nos jours que Maurice était mort d’un coup d’épée reçu dans le bois de Chambord, et que l’adversaire du maréchal était le prince de Conti. On ignorait d’ailleurs la cause du duel. La voilà retrouvée aujourd’hui, s’il est vrai que l’événement ait eu lieu comme le rapporte la tradition locale. Parmi les envieux qui poursuivaient Maurice de Saxe et dont il déjouait si lestement les intrigues, le prince de Conti est le seul qui ait pu croiser son épée avec la sienne. Le général de l’armée du Rhin vengeait ainsi en 1750 l’affront si mérité qu’il avait reçu en 1746.

Le prince de Conti, en effet, s’était attiré une punition cruelle. Officier de courage après tout et signalé dès ses débuts par une brillante victoire en Italie, il s’était mis dans le cas d’avoir à quitter le théâtre de la guerre à la veille d’une grande lutte. Le prince Charles était venu du fond de l’Autriche avec une armée de cinquante mille hommes pour s’opposer aux progrès du comte de Saxe, et les alliés publiaient par toute l’Europe qu’ils ne tarderaient pas à prendre une éclatante revanche de Fontenoy et de Bruxelles. La paix noblement offerte par la France victorieuse était repoussée avec dédain ; on ne voulait traiter qu’avec la France vaincue et humiliée. Maurice, à ce moment-là, était le grand espoir du pays. Le roi lui faisait écrire par le ministre de la guerre qu’il ne comprenait pas la présomption du prince Charles en face du comte de Saxe. « Sa ma-

  1. Journal et Mémoires du marquis d’Argenson, édition Rathery, t. IV, p. 176.