Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/865

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cabales de cour, cabales d’armée, d’où vient ce concert subit, cette effrayante unanimité ? Les clameurs de Versailles, nous en connaissons l’origine ; comment se fait-il qu’elles aient un écho dans le camp même d’un capitaine si souvent victorieux ? Je crois le savoir. Maurice n’inspirait plus la même confiance depuis qu’il avait montré, à côté des vertus militaires d’un grand général, l’avidité d’un aventurier. La prise de Berg-op-Zoom par son ami Lowendal avait été une véritable curée, et la France en avait poussé un cri d’horreur. On pouvait encore rejeter l’odieux de cette barbarie sur le soldat, qu’avait exaspéré une résistance opiniâtre ; mais comment justifier les iniquités des chefs, exactions et brigandages ? Le pays était assommé, s’écrie le marquis d’Argenson. Le nom de Verrès, à cette occasion, revient plusieurs fois sous sa plume. Que cette réputation de rapine fût vraie ou fausse, que ces proconsuls pillards eussent trouvé ou non leur Sicile dans les Flandres, il était inévitable que le maréchal de Saxe vît diminuer peu à peu les sympathies publiques. « Nous ne lui envions pas cette fortune, » disait l’honnête Barbier. Ajoutez à cela ces prétentions féodales si singulières en plein XVIIIe siècle. Le titre de maréchal-général des camps et armées du roi, les fonctions de gouverneur des Flandres ne suffisaient pas au vainqueur de Fontenoy ; il voulait exercer sur le pays conquis par ses armes l’autorité dont le prince Eugène avait été revêtu au commencement du siècle. Le prince Eugène avait reçu les pouvoirs d’un vice-roi, pouvoirs militaires et civils, espèce de souveraineté vassale de l’empire d’Allemagne. Maurice, rêvant toujours un trône, voulait une souveraineté comme celle-là. En vain lui répondait-on que rien n’était plus contraire aux lois fondamentales de la France ; ni les ministres, ni ses amis personnels ne réussissaient à lui faire comprendre le scandale de ses prétentions. Le roi et le ministère finirent par céder, tant ils craignaient de sa part un coup de tête qui eût rompu les préliminaires de paix et rejeté la France dans les hasards ; qui sait s’il ne va pas quitter la France avec éclat, vendre son épée à l’Angleterre, à l’Autriche, emmener Lowendal et revenir battre les compagnons de sa gloire ? Ce coup de tête, c’eût été une trahison, et il est triste pour Maurice qu’on l’en ait cru capable. Il est triste aussi que ses meilleurs amis aient pu l’accuser avec vraisemblance de vouloir prolonger la guerre afin de garder plus longtemps les pouvoirs quasi royaux qu’il venait d’arracher à un gouvernement avili. Le soir même de la journée de Lawfeld, le plus cher de ses aides-de-camp, M. de Valfons, celui à qui il disait si bien en lui donnant son propre cheval de bataille : « Prends-le, pas de cérémonie ; aujourd’hui, toi c’est moi, » M. de Valfons, dis-je, crut deviner à un signe, à un geste, que le maréchal ne voulait pas gagner une victoire trop complète, et ce fait le frappa tellement