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qu’il se crut obligé en conscience d’en révéler quelque chose sans dénoncer son ami. « Pénétré des caresses du maréchal, je ne m’en laissai point enivrer, et toujours préoccupé de ce qu’il n’avait pas voulu gagner totalement la bataille et écraser les ennemis, emporté par un zèle bien pardonnable à un bon citoyen et qui ne compromettait pas mon protecteur, je ne pus m’empêcher de dire à M. de Soubise : « Monsieur, conseillez au roi de faire la paix ; je ne puis vous dire le mot de l’énigme, mais conseillez la paix. »

Ainsi, à l’armée comme à la cour, chez les amis les plus sûrs comme chez les adversaires perfides, une même accusation s’élevait contre Maurice : il voulait faire durer la guerre, il voulait prolonger son commandement souverain, il songeait à son intérêt propre beaucoup plus qu’au bien de l’état. Cherchez le terme le moins dur pour caractériser une telle conduite ; en bon français, ce sera toujours une trahison.

Qu’y a-t-il de vrai dans cette clameur ? Nous avons étudié la cause pièces en main, et nous n’hésitons pas à prononcer notre verdict : militairement, Maurice de Saxe est irréprochable ; moralement, il avait commis bien des fautes, et ce sont ces fautes qui ont donné prise aux calomnies, c’est l’avidité sans frein de l’aventurier qui a compromis un instant l’honneur du capitaine. On l’accuse de ne pas avoir frappé des coups décisifs ; excepté le jour de Lawfeld, où il se reposa trop vite peut-être après une lutte effroyable, ses manœuvres ont toujours été aussi hardies que prudentes, et s’il préparait lentement la victoire, la victoire du moins ne lui fit jamais défaut. Il s’est justifié lui-même avec un accent de sincérité qui nous touche, lorsque, tourmenté par les intrigues du camp et de la cour au sujet des opérations qui suivirent la victoire de Lawfeld, il supplie qu’on veuille bien ne pas le troubler. « Si la guerre tient de l’inspiration, s’écrie-t-il, il ne faut pas troubler le devin. » Ce devin d’ailleurs n’a-t-il pas été absous par ses pairs ? et n’est-ce pas Frédéric le Grand qui lui écrivait à propos de ses solides manœuvres, où le prince de Conti ne voyait qu’une circonspection intéressée : « Dans le premier bouillon de la jeunesse, on sacrifie tout aux actions brillantes et aux choses singulières qui ont de l’éclat ? À vingt ans, Boileau estimait Voiture ; à trente ans, il lui préférait Homère. Dans les premières années que je pris le commandement de mes troupes, j’étais pour les pointes ; mais tant d’événemens que j’ai vus arriver, auxquels même j’ai eu part, m’en ont détaché. Ce sont ces pointes qui m’ont fait manquer la campagne de 1744. C’est pour avoir mal assuré la position de leurs armées que les Français et les Espagnols ont été réduits à abandonner l’Italie. J’ai suivi pas à pas votre campagne de Flandre, et je crois que la critique la plus sévère ne peut y trouver prise… On fera toujours