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thenas, le jeune médecin que Roland avait connu en Italie avant son mariage, qu’il avait pris en affection, et que Mme Roland appelait en ce temps-là le frère ; Champagneux, qui devait aux premiers jours de la révolution rédiger le Courrier de Lyon; Bancal des Issarts enfin, le dernier venu, et non le moins cher, qui était notaire avant de se jeter dans la politique. Plus d’un de ces hommes subit le charme et ne s’arrête pas à l’amitié; Mme Roland le sent, le voit, ne s’en effraie guère, et, en femme qu’elle est, cette jeune matrone romaine manie d’une main aussi fine qu’expérimentée tous les fils secrets de ces sentimens qu’elle seule connaît, qu’elle éveille et qu’elle maîtrise, qu’elle décourage en les ravivant par ses séductions. Elle se faisait peut-être un dangereux idéal quand elle rêvait de « faire le bonheur d’un homme et d’être le lien de beaucoup... « 

Sans être invulnérable, Mme Roland se croyait à l’abri en sermonnant avec un aimable enjouement ses jeunes amis, en les entretenant des sentimens patriotiques qu’elle nourrissait, qui grandissaient en elle à mesure que la crise publique approchait. Elle ne prévoyait pas la révolution dans toutes ses conséquences; elle la voyait venir, avec bien d’autres, comme quelque chose d’indistinct, de mystérieux, mais d’inévitable, et elle en avait d’avance embrassé les idées, tout enflammée à cette perspective d’une réalisation prochaine de ce qu’elle appelait avec l’emphase du temps « la régénération de l’espèce. » Sans soupçonner la possibilité d’un rôle pour elle-même, du fond de sa province elle se jetait de cœur et d’esprit dans le mouvement avec ce besoin d’expansion et d’action d’une âme provoquée dans ses facultés inoccupées, dans ses instincts inassouvis. Lorsque vint l’heure de la fédération lyonnaise, le journal de Champagneux publia un compte-rendu enthousiaste et brûlant qui se répandit à soixante mille exemplaires, que chaque fédéré voulut emporter avec lui : c’était l’œuvre de Mme Roland et en quelque sorte sa première apparition à demi publique dans la mêlée. Dès ce moment, ce n’est plus ni la jeune fille du quai de l’Horloge, ni l’hôtesse du dos de La Platière; c’est la femme de la révolution qui se rend à Paris avec Roland, député par la municipalité lyonnaise à l’assemblée constituante pour une réclamation d’argent, et qui ne revient un instant à la campagne que pour rentrer bientôt et définitivement sur la scène, pour être dans un espace de dix-huit mois la reine passagère du ministère de l’intérieur, le porte-drapeau d’un parti, la captive de la Conciergerie, la victime et l’héroïne de la place Louis XV.

C’est la femme de la révolution, dis-je, qui apparaît avec tout ce qui la caractérise, avec tout ce qui en fait un type vivant et parlant de cette formidable explosion de la société française. Jetée à