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à moins que les puissances qui l’auraient faite ne fussent décidées à aller plus loin. Le cabinet anglais est-il décidé à aller plus loin? Le cabinet anglais ne répond que par une question : la France est-elle décidée à soutenir le traité, oui ou non? — Avant de m’engager à le soutenir, c’est-à-dire à prendre les armes au besoin, il faut, repart notre ministre, que je voie plus clair devant moi. — Le gouvernement de la reine, reprend l’ambassadeur, aurait un sincère désir d’agir de concert avec le gouvernement impérial; il pense que leur accord pourrait prévenir la guerre. Ce serait chose bien fâcheuse que le dissentiment qui s’est élevé quant aux mérites d’un congrès général dût produire une scission qui portât chaque gouvernement à suivre une ligne à part. — Notre ministre répondit que nous ne refuserions pas de prendre part à une conférence. Tout cela se passait au commencement de janvier, et le 9 lord Russell, dans une dépêche assez nette, paraissait mettre toute la difficulté qui l’arrêtait au compte de la France. Remarquez qu’il ne nous proposait encore qu’une démarche diplomatique commune; mais il ne renonce pas, et il propose la coopération. — S’agit-il de diplomatie, réplique M. Drouyn de Lhuys, c’est déjà fait. S’agit-il d’employer la force, il ne dit pas oui, il ne dit pas non. Toutefois il préférerait la modification du traité à une guerre incertaine. — Mais il s’agit d’empêcher un démembrement, objecte lord Russell; la coopération devrait donc aller, s’il le fallait, jusqu’à donner une assistance matérielle à la résistance du Danemark (24 janvier). — À ce moment, on lui répond : 1° que le gouvernement impérial a toujours eu grand égard aux sentimens et aux aspirations des nationalités, qu’il voit l’Allemagne tendre évidemment à une étroite connexion avec le Holstein et le Slesvig, qu’il éprouverait donc de la répugnance pour toute conduite qui l’obligerait à s’opposer par les armes aux souhaits de l’Allemagne; 2° que d’ailleurs la guerre serait une entreprise comparativement aisée pour l’Angleterre, puisqu’elle serait purement maritime; qu’il n’en serait pas de même pour la France, dont le sol touche le sol allemand, et qu’on a soupçonnée en Europe de projets d’agrandissement sur les bords du Rhin. Conclusion : le gouvernement impérial réservait son entière liberté[1].

C’est à ce moment que l’idée d’un concert d’action tant morale que matérielle entre les deux puissances qui décidaient ainsi du salut du Danemark paraît avoir été abandonnée. Nous ignorons si, comme on le dit, les explications verbales ont été plus loin que les explications écrites ; mais, à entendre chacune des deux puissances sur le compte de l’autre, aucune n’était ardente à s’engager. Chacune ne paraissait pas fâchée d’être dispensée de la nécessité d’agir

  1. Tout ce récit est dans les termes des dépêches publiées.