Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/918

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binet français que ce refus devait surprendre. Ce refus était nécessairement entré dans ses vues, et il pouvait regarder comme un succès de voir après un si court intervalle de temps l’Angleterre recourir à lui et déclarer qu’elle ne pouvait agir seule, qu’un concert préalable était nécessaire.

La vérité me paraît donc que la France s’est avant tout préoccupée des conséquences possibles d’une intervention sérieuse dans les affaires du Danemark : elle a vu parmi ces conséquences la chance d’une guerre continentale; elle n’a pas voulu être soupçonnée de la chercher; elle en a repoussé les avantages comme les risques, et n’a pas été fâchée de pouvoir dire que l’Angleterre n’était pas plus décidée à lui garantir les uns qu’à courir les autres jusqu’au bout. Il est certain que si dans cette voie un dénoûment pacifique était peu douteux, il n’était pas infaillible. On ne prend jamais en pareils cas toutes ses sûretés. Lorsqu’on entreprend de faire triompher diplomatiquement un principe de quelque importance, on s’expose toujours à l’obligation de le soutenir par tous les moyens; il peut toujours venir un moment où la force doit se substituer à la parole. Il faut donc admettre à la rigueur la possibilité de la guerre, mais surtout il ne faut pas dire qu’on ne la fera pas. Ce serait se frapper d’impuissance, mettre l’adversaire à l’aise et l’encourager à ne rien céder. Il est vrai encore qu’une guerre dirigée contre l’ambition de la Prusse et de la confédération était une grosse partie pour la France, qui ne pouvait l’entreprendre sans l’espérance d’y gagner tout ce qu’elle y pourrait perdre. Elle aurait donc eu raison de s’assurer que l’Angleterre admettrait pour elle l’éventualité d’un agrandissement territorial, et ce n’était point là une insurmontable difficulté. On ne pouvait craindre, quoi qu’on en ait dit, d’être abandonné par l’Angleterre en pleine exécution dans une affaire où l’on jouait son jeu, où l’on entrait dans sa passion, et je suis de ceux qui pensent qu’il eût été facile aux deux puissances de se mettre d’accord sur les conditions et les résultats d’une coopération belliqueuse au besoin, si l’on avait de part et d’autre fortement voulu la fin et les moyens; mais cette volonté n’existait pas, ou du moins cette volonté n’était pas assez énergique pour lutter dans le public contre l’amour de la paix, contre les craintes inspirées par toute entreprise qui pourrait à la rigueur la compromettre. Voilà pourquoi nous avons négligé une bonne occasion de prouver à l’Angleterre et à lord Palmerston que notre concours peut être efficace, et que toutes les fois que l’Angleterre et la France paraissent séparées ou refroidies, la politique de l’une et de l’autre en est moins libre et moins puissante. Quel était le moment en effet où nos deux cabinets laissaient échapper la chance d’un rapprochement intime et d’un accord utile à l’ordre