Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/934

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme une fumée. Que, tout au contraire, l’univers invisible soit aussi positivement réel que le monde visible, la science de l’esprit est possible, parce qu’elle a un objet et, pour étudier cet objet, un instrument, la conscience; bien plus, dans ce dernier cas, les faits jusqu’ici régulièrement constatés, les lois rigoureusement induites, les causes reconnues et saisies, demeurent comme autant de vérités acquises, et la science de l’esprit, au lieu de renier son passé ou de changer de méthode, n’a plus qu’à perfectionner sa méthode, s’il le faut, et à se continuer elle-même. De ces deux situations, quelle est celle où se trouve aujourd’hui placée la psychologie spiritualiste? Le terrain sur lequel elle marchait avec confiance s’est-il tout à coup effondré, ou bien chemine-t-elle sur le roc et peut-elle poursuivre sa route, sauf à en modifier au besoin, en quelques endroits, le tracé primitif ? Voilà ce que la plus simple prudence lui prescrit de bien voir, avant de prêter l’oreille aux conseils parfois pleins de hardiesse de ses nouveaux amis.

Ce n’est pas d’hier que l’humanité et la science affirment la réalité des faits internes de notre vie; ce n’est pas d’hier non plus qu’une certaine science nie la réalité de ces mêmes faits. La lutte entre le matérialisme et le spiritualisme a commencé, peu s’en faut, le même jour que la philosophie. Nous n’avons nullement le dessein d’écrire ici l’histoire de cette lutte, quelque intéressante qu’elle soit, et quoiqu’on y puisse apprendre, entre autres choses, que le matérialisme, chaque fois qu’il ressuscite, se répète mot pour mot et tourne sur place, tandis qu’à chacun de ses retours le spiritualisme se développe et s’enrichit. Remontons seulement jusqu’à l’année 1826 et à la préface que M. Jouffroy écrivit à cette époque pour sa traduction des Esquisses de philosophie morale de Dugald Stewart. Quelles étaient les conclusions de ce fragment célèbre? Comment l’auteur les a-t-il depuis étendues et complétées? Quelle brèche enfin la nouvelle critique peut-elle se vanter d’avoir faite à ce simple, mais admirable monument?

En 1826, les adversaires de la science de l’esprit procédaient et parlaient comme procèdent et parlent leurs successeurs actuels. A la philosophie nouvelle, déjà pleine de force et de vie et très influente, les sciences physiques et naturelles, éblouies de leurs progrès, opposaient les mêmes fins de non-recevoir qu’aujourd’hui. Témoin de cette opposition, et au moment de la combattre, M. Jouffroy en indiquait la cause dans les lignes suivantes : « L’étude exclusivement heureuse des sciences naturelles dans ces cinquante dernières années a accrédité parmi nous l’opinion qu’il n’y a de faits réels, ou du moins qui soient susceptibles d’être constatés avec certitude, que ceux qui tombent sous les sens. » Ainsi les positivistes d’il y a