Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/941

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est qu’on aura beau faire, il faudra toujours en revenir à constater la force intellectuelle toute particulière qui nous emporte, par-delà les faits concrets ou abstraits, dans les champs de l’inconnu, de l’avenir et du possible; il faudra reconnaître que cette irrésistible énergie s’appuie sur un principe, et avouer que ce principe, supérieur à l’expérience, communique à l’induction sa première, sa plus essentielle certitude. Ce principe, énoncé de façons diverses qui renferment toutes un seul et même sens, peut se ramener aux termes suivans : le cours de la nature est soumis à des lois constantes, ce qui signifie qu’il n’y a point de hasard. Retranchez ce principe de la liste de nos croyances, aussitôt toute science s’évanouit. Il n’est donc pas surprenant que l’attention de la critique se reporte sans cesse vers cette base du savoir humain. On vient de voir que ce principe ne sortira jamais de la seule observation des faits. Qu’est-ce alors que ce principe? Est-ce une vérité nécessaire, une proposition dont le contraire révolte la raison? Plusieurs l’admettent, parmi lesquels se range M. Alaux. Est-ce tout simplement une croyance irrésistible à laquelle on cède d’instinct, parce qu’on ne peut faire autrement? La solution positiviste de M. Mill et la solution de M. Taine étant écartées, c’est entre la vérité nécessaire et la croyance irrésistible que s’agite le débat, l’un des plus grands, des plus intéressans, des plus actuels où se puisse engager la philosophie. Ce n’est pas ici le lieu de traiter la question dans ses détails; il y faudrait un livre. Signalons du moins les difficultés du problème, les opinions les plus récentes que ces difficultés ont suscitées; notons enfin ce que ces épreuves redoublées laissent subsister du procédé d’induction, et de la précieuse certitude qui s’y rattache.

Il y a des lois constantes qui, dans leur harmonieux ensemble, composent l’ordre physique du monde. Cet ordre, tous les hommes s’y confient. Celui qui bâtit une maison ne doute pas un instant que les pierres qu’il superpose les unes aux autres ne restent fixées à la terre par la pesanteur; il ne se surprend jamais à craindre qu’un accroissement gigantesque de la force centrifuge, triomphant de la gravitation, lance subitement dans l’espace les matériaux dispersés de l’édifice. Cependant la loi de la chute des corps vers le centre de la terre et, plus généralement, les lois diverses qui président à l’attraction des corps sont-elles autant de principes nécessaires dont le contraire soit conçu par la raison comme impossible et absurde? Nullement. Par exemple, de ce que la température actuelle de notre globe, remarque l’auteur d’un savant ouvrage philosophique, M. Cournot[1], est depuis longtemps compatible avec l’exis-

  1. Essai sur les fondemens de nos connaissances, t. II, p. 91.