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spiritualisme excessif, voyons comment le savant disciple de Bordas-Demoulin est arrivé à cette nouvelle délimitation des frontières de l’âme. Il y est arrivé par une voie très intéressante et qu’il nous faut parcourir sur ses traces, quoique beaucoup plus rapidement que lui. Cette voie, c’est l’observation de la vie jusque dans ses manifestations les plus infimes, les plus informes, les plus microscopiques; c’est aussi l’étude des phénomènes physiologiques les plus délicats comme les moins accessibles aux regards de la conscience. Cette observation et cette étude nous découvrent dans la matière animale une série d’attributs dont la métaphysique aura tôt ou tard à rechercher le sujet. Pour le moment, il est d’un haut intérêt de les décrire et de savoir en quoi ils ressemblent aux attributs de l’âme elle-même et en quoi ils en diffèrent. C’est pourquoi M. Bouchut, qui est franchement spiritualiste, s’est appliqué à classer, à caractériser et à distinguer des facultés de l’âme ces attributs de la vie animale. Il en compte trois : l’impressibilité, l’autocinésie et la promorphose. L’impressibilité, c’est la propriété qu’a toute matière vivante de sentir sans organes et sans conscience aucune de l’impression reçue. L’autocinésie, c’est la propriété qu’a cette même matière de se mouvoir sans organes de mouvement. Enfin la promorphose, c’est le pouvoir dont est douée la matière vivante de prendre une forme particulière et de tout conduire comme sciemment pour réaliser le type des espèces. Des exemples frappans mettent ces propriétés en pleine évidence. Dans le phénomène de la fécondation, l’ovule fécondé subit une impression qui n’est pas sentie; voilà l’impressibilité. Les globules blancs du sang, placés entre deux plaques de verre, poussent sous les yeux de l’observateur des prolongemens irréguliers qui rentrent ensuite dans le globule, comme les cornes d’un limaçon dans la tête de cet animal : voilà le mouvement spontané. Quant à la promorphose, c’est elle qui met chaque chose à sa place, l’atome musculaire au muscle, l’atome osseux, à l’os; c’est elle, par exemple, qui d’une planaire coupée en deux fait deux planaires en ajoutant à chacune des extrémités séparées une autre extrémité pareille à celle que lui a enlevée la division. Cette matière vivante communique ses propres attributs aux organes et aux tissus auxquels elle est antérieure, qu’elle forme, qu’elle répare. C’est ce qui a fait dire à de grands physiologistes que chaque organe, chaque molécule de matière vivante sont autant d’animaux dans chaque animal. A cette pensée, M. Huet s’écrie éloquemment : « C’est une richesse à faire pâlir la splendeur des cieux. » Richesse splendide en effet, mais dont le spectacle prolongé peut aller jusqu’à donner l’éblouissement et même le vertige. Sur le bord de ce gouffre de l’indéfini où chaque unité vi-